Annexe 3 sur les persécutions des huguenots après 1685 en particulier sur la prison de l’Hôpital général de Valence où est décédée Antoinette Besson, ancêtre des Arnoux-Brachet au Pouzet (qui sont à la tombe n°9)
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LES HUGUENOTS
CENT ANS DE PERSÉCUTIONS
CHAPITRE III
LIBERTÉ DE CONSCIENCE(Suite 4)
Blanche de Gamond arrive à l’hôpital de Valence, elle refuse d’aller à la chapelle où se disait la messe ; la sœur Marie lui donne des soufflets et des coups de pied et lui rompt un bâton sur le dos, puis elle la décoiffe pour la prendre aux cheveux. Mais Blanche venait d’être rasée, par ordre du parlement ; on la prend par les bras et malgré ses cris, on la traîne à la chapelle.
Ce soir-là, ajoute-t-elle, on me donna un lit qui était assez bon, mais je ne pouvais pas me déshabiller, ni tourner les bras, ni lever la tête, tant on m’avait meurtrie de coups. C’était le premier jour que j’entrai à l’hôpital. Le lendemain, on nous fit lever à quatre heures et demie du matin. Quoique je ne pouvais pas lever la tête, parce que mon cou était tout meurtri, il me fallut cependant travailler ; à six heures deux filles me prirent et me menèrent dans la chapelle malgré moi…
On me mit dans une chambre où il y avaitdes poux, des puces, et des punaises,en quantité prodigieuse, tellement qu’il me semblait tous les matins qu’on m’avait donné les étrivières, tant que ma chair me cuisait. Il ne nous était pas permis de blanchir ni de faire blanchir nos chemises, les poux nous couraient dessus,il nous était défendu de nous les ôter...je n’avais point de draps, tant seulement une couverte et de la paille... le pain qu’on nous donnait était fort noir et du plus amer, car, pendant trois ou quatre jours, il me fut impossible d’en mettre un morceau à ma bouche, quelque effort que je fisse en moi-même.
On me faisait charrier de l’eau avec Mlle de Luze. Une fille nommée Muguette, nous suivait après, avec une verge à la main, qui nous en frappait les doigts. Et la cornue que nous portions était si pleine et pesante, que deux hommes auraient eu peine de la porter et, comme nous étions faibles, ce fut cause que celle qui était avec moi, le bâton lui glissa de la main, et nous versâmes deux ou trois verres d’eau sur le pavé. On s’en alla quérir la Rapine. Il s’en alla à la cuisine et dit aux cuisinières : « Donnez les étrivières à cette huguenote, mais ne l’épargnez pas ; que si vous l’épargnez vous serez mises à sa place. »
À l’instant on me fit lever et on me fit entrer à la cuisine. Sitôt que j’y fus dedans, on ferma bien toutes les portes et je vis sixfilles que chacune d’elles avait un paquet de verges d’osier de la grosseur que la main pouvait empoigner et de la longueur d’une aune, on me dit : Déshabillez-vous ; ce que je fis, on me dit : Vous laissez votre chemise, il la faut ôter. Elles n’eurent pas la patience qu’elles-mêmes l’ôtèrent et j’étais nue depuis la ceinture en haut. On apporta une corde de laquelle on m’attacha à une poutre qui tenait le pain dans la cuisine, en m’attachant on tirait la corde de toutes leurs forces, puis on me disait : Vous fais-je mal ? Et alors elles déchargèrent leur furie dessus moi et, en me frappant l’on me disait : Prie ton Dieu !
On avait beau s’écrier. Redoublons nos coups, elle ne les sent pas puisqu’elle ne dit mot ni ne pleure point. Et comment aurais-je pleuré, puisque j’étaispeinéeau dedans de moi ? Mais sur la fin, mes pieds ne purent pas me soutenir parce que mes forces étaient faillies, aussi j’étais pendue par les bras et voyant que j’étais comme couchée par terre, alors on me détacha pour me frapper mieux à leur aise. On me fit mettre à genoux au milieu de la cuisine, là elles achevèrent de gâter les verges sur mon dos, tant que le sang me coulait des épaules... et comme elles me mettaient mon corps (mon corsage) je les priai de ne me le mettre pas, mais tout seulement mon manteau ; elles ne firent que pis, me serrèrent tant plus et, comme j’étais enflée et noire comme du charbon, ce me fut un double supplice et double martyre... C’était à deux heures après midi et, quoique je ne pouvais pas me remuer, il me fallait... pourtant travailler. Et tantôt on venait en disant : Quatre huguenotes pour travailler et charrier de l’eau. Dans un moment après on revenait en criant : Encore deux ou trois huguenotes pour charrier de la farine ; et tous les jours on augmentait nos peines et nos supplices.
Aussi, je regardais ce lieu-là comme l’image de l’enfer ; je désirais ardemment d’en sortir par la mort... On nous faisait balayer la cour des filles, mais on ne nous donnait point de balais à toutes,il fallait que nos doigts fissent les balais et nous ramassions la boue avec nos mains...Depuis les étrivières, j’étais devenue comme ladre, j’avais par tout mon corps desampoulesqui étaient de la grosseur d’un pois. Ce n’était pas la gale, mais du sang meurtri... Je balayai la salle ; le redoublement de fièvre me prit, ma chemise était toute mouillée de sueur de travail, et comme j’étais extrêmement mal, je m’en allai me jeter sur le lit...
Je ne fus pas plutôt sur le lit que la Roulotte et la Grimaude, transportées de furie, vinrent contre moi en me disant : Allons, à la messe !... Elles me jetèrent du lit à terre, et, comme je ne voulais pas marcher, j’étais couchée sur le pavé, elles me frappèrent à coups de pied, ensuite du bâton qu’elles avaient à la main... Quand elles eurent rompu le bâton sur moi... on me traîna jusqu’aux degrés... »
À la suite des mauvais traitements répétés qu’elle avait subis, Blanche de Gamond tombe malade et est envoyée à l’infirmerie.
« Je demeurai là, dit-elle, l’espace de deux mois, je fus détenue d’une fièvre continue et redoublement d’accès. Quand je demandais de l’eau pour me rafraîchir la bouche, pour la plupart du temps, on me la refusait, en me disant : Faites-vous catholique et on vous en donnera... On ne me donnait point de bouillon, sinon d’eau bouillie avec des choux verts, qu’il y avait des poux et des chenilles parce qu’on ne les lavait, ni triait, comme j’en ai très souvent trouvé dans ma soupe. Mais, pour du sel et du beurre on y en mettait fort peu, tellement que, quand on me présentait ce bouillon, le dédain et le vomissement me prenaient. »
C’était, paraît-il, l’habitude des hôpitaux de laisser à peu près mourir de faim les malades, car Lambert de Beauregard, porté à l’hôpital général après avoir été torturé par les soldats, dit : « J’y fus bien couché et mal nourri : car il est constant qu’en huit jours que j’y demeurai, je n’y mangeai pas une livre pesant pour tous les aliments que je pris là dedans, parce que l’on ne m’y présentait que de gros pains que l’on mettait bouillir avec de l’eau, sans sel ni autre chose pour me mortifier... Je buvais surtout de l’eau froide que je trouvais fort bonne, et c’est de cela que je me nourris presque tout le temps que je demeurai à l’hôpital... Il arriva qu’après que j’eus séjourné cinq à six jours à cet hôpital, sans prendre d’autre nourriture que de l’eau froide, je me trouvaisi vide d’estomac et de cerveauque, durant la nuit, j’avais des visions et étais dans les rêveries qui me faisaient dire beaucoup d’extravagances. »
À Marseille, l’hôpital des galères était ainsi un lieu de tourments où les malheureux allaientachever de mourirayant à souffrirde la faimet du froid.
Pour en revenir à Blanche de Gamond, on vient lui dire, à sa sortie de l’infirmerie, que sous trois jours elle devra partir pour l’Amérique. « Et, quand vous serez sur la mer, ajoutait-on, on vous fera passer sur une planche fort étroite, et ensuite onvous jettera dans la mer,afin de faire perdre la race des huguenots et de se défaire de vous.
Élie Benoît constate que cette menace de transportation dans le nouveau monde parvint à vaincre la constance « de plusieurs de ceux qui avaient résisté aux prisons, aux galères, aux cachots, à la faim, à la soif, à la vermine et à la pourriture. »
Jurieu dit, qu’après le naufrage d’un des navires transportant des huguenots aux colonies, on ne mit plus en doute qu’on ne vous embarquât pour opérer des noyades en grand. À ceux qu’on allait embarquer, raconte Elie Benoît, on parlait de l’Amérique comme d’un pays où ils seraient réduitsen esclavageet traités comme les habitants des colonies traitent leurs nègres et leurs bêtes ».
Une lettre écrite de Cadix par un Cévenol au mois d’avril 1687, montre combien était répandue cette idée que les huguenots transportés devaient être réduits en esclavage aux colonies : « On les envoie aux îles d’Amériquepour y être vendus au plus offrant.Ces choses font horreur à la nature que ceux qui se disent chrétiens, vendent des chrétiens à deniers comptants...
Nous apprîmes que ce vaisseau venait de Marseille et qu’il allait en Amérique porterdes esclaves...Nous avons vu paraître quelques demoiselles, à qui la mort était peinte sur le visage, lesquelles venaient en haut pour prendre l’air. Nous leur avons demandé par quelle aventure elles s’en allaient en Amérique. Elles ont répondu avec une constance héroïque. Parce que nous ne voulons point adorer la bête, ni nous prosterner devant des images ; voilà, disent-elles, notre crime. Je ne fus pas plutôt au bas de l’échelle que je vis quatre-vingts jeunes filles ou femmes, couchées sur des matelas, accablées de maux, et d’un autre côté l’on voyait cent pauvres malheureux accablés de vieillesse et que les tourments des tyrans ont réduits aux abois (des forçats invalides). Elles m’ont dit que, lorsqu’elles partirent de Marseille, elles étaient 250 personnes, hommes, femmes, filles et garçons et que, en quinze jours, il en est mort 18. » Ce Cévenol trouve parmi les transportées, deux de ses cousines, deux jeunes filles, l’une de quinze, l’autre de seize ans, l’une déjà bien malade, vouées toutes deux à une mort prochaine car le vaisseau qui les portaitfit naufrageet l’on ne sauva point la moitié des passagers. Est-ce à ce naufrage, ou un des cinq ou six autres sinistres du même genre, que se rapporte cette relation du huguenot Étienne Serres, un des rares survivants d’un navire qui, chargé de prisonniers et de forçats invalides, fit naufrage près de la Martinique ?
« Les femmes, dit-il, étaient fermées à clef dans leur chambre et, dans le désordre où tout le monde était, on ne se souvint de leur ouvrir que lorsqu’il ne fut presque plus temps. Quelqu’un ayant enfin pensé à elles, et s’étant avisé d’ouvrir la porte de leur chambre, ne pouvant trouver la clef, la rompit à coups de hache. Quelques-unes en sortirent au milieu des eaux où elles nageaient déjà ; et on trouva toutes les autres noyées. Les forçats étaient enchaînés les uns avec les autres, et sept à sept, de sorte que, ne pouvant rompre les chaînes dont ils étaient liés, ils jetaient des cris épouvantables pour émouvoir les entrailles et pour faire venir à leur secours. Ces cris ayant attiré près d’eux leur comite, il eut pitié d’eux et fit tous ses efforts pour rompre leurs chaînes. Mais le temps était court, et, tous voulant être déliés à la fois, après avoir ôté les fers à quelques-uns, il fut contraint d’abandonner les autres. »
Les matelots mettent les chaloupes à la mer, quelques-uns seulement des transportés peuvent les suivre dans les embarcations, si bien que quinze des prisonniers périrent etque presque toutesles prisonnières furent noyées.
Ce n’était pas seulement le naufrage qu’avaient à craindre les transportés, c’étaient encore les maladies résultant de l’entassement sur les navires et du manque de soins. Ainsi sur un navire parti de Nantes en 1687 ave cent soixante transportés, quarante périrent dans la traversée, et sur deux autres, partis de Marseille l’année suivante avec cent quatre-vingt passagers, quarante périrent en route.
Cette croyance qu’on embarquait les huguenots pour les noyer était si bien établie, que Convenant, pasteur d’Orange, à l’occasion de l’émigration protestante de cette principauté, dit encore en 1703 : « On répétait qu’on ne leur faisait prendre cette route que pour les embarquer à Nice sur des vaisseaux qu’on y avait préparés, et pour leur faire le même traitement qu’on avait fait, il n’y avait que quelques jours, à tous les habitants d’un village des Cévennes, qu’on avait mis sur un vaisseau, sous ombre de les transporter dans les îles d’Amérique, etqu’on avait fait couler à fond au milieu de la mer. »
On avait eu l’idée, tout d’abord, de faire de la transportation sur une grande échelle ; le marquis de la Trousse avait cru trouver dans la transportation un moyen dechanger quelques peuples des Cévennes,et en 1687, il annonçait être prêt à faire troisvoituresd’une centaine de personnes chacune, pour Marseille, mais il dut se contenter de faire partir pour les îles d’Amérique ou le Canada,ceux qui paraissaient avoir le plus de crédit dans chaque village.On renonça bientôt absolument à la transportation des huguenots, « Sa Majesté, écrivait Louvois en 1689, ayant connu par expérience que ces gens-là embarrassaient extrêmement les gouverneurs des îles et que, quelque précaution que l’on prit, ils s’évadaient et revenaient en France. »
Cette décision se comprend d’autant mieux que Louvois avait obtenu du roi que la liberté de sortir du royaume fûtmomentanémentrendue aux huguenots et aux nouveaux convertis. Il avait invoqué cet argument« que le naturel des Français les poussait à vouloir principalement les choses difficiles etdéfendues,mais qu’ils se refroidissaient aussitôt qu’on leur donnait la permission de se satisfaire ». Conformément à son avis, les passages furent un instant ouverts aux émigrants, mais quand on vit qu’une foule de gens profitaient de l’occasion pour sortir du royaume, on s’empressa de les refermer et de remettre en vigueur les édits interdisant l’émigration sous peine des galères.
En même temps, pour désemplir les prisons trop peuplées, on avait expulsé du royaume quelques centaines de huguenots opiniâtres, qu’on avait fait conduire aux frontières de terreoudemer, en confisquant leurs biens,comme s’ils fussent sortis volontairement du royaume. On expulsa de même quelquesnotables quin’avaient pas été emprisonnés, mais donnaient le mauvais exemple de leur attachement à la foi protestante.
Ainsi, de Thoraval, gentilhomme du Poitou qui, enfermé à la Bastille, avait abjuré entre les mains de Bossuet, était dénoncé, six ans plus tard, comme étant le conseil des nouveaux convertis, si bienqu’il ne paraissait pas qu’il eût fait abjuration.Quelques jours plus tard, après que le secrétaire d’État eut consulté Bossuet sur la question, le maréchal d’Estrées recevait l’ordre suivant, qu’il s’empressait d’exécuter contre cetopiniâtredont la présence était réputée dangereuse : « Sa Majesté veut que vous fassiez sortir du royaume le sieur de Thoraval, en l’envoyant au plus prochain endroit pour s’embarquer, et sa femme aussi, supposé qu’elle n’ait point fait l’abjuration. Je crois inutile de vous dire qu’il ne doit emmener avec lui aucun de ses enfants,ni disposer de ses effets. »
Fénélon, non seulement conseillait d’envoyer les nouveaux convertis dangereux de la Saintonge dans les provinces où il n’y avait point de huguenots, de les y envoyer en qualitéd’otages,pour empêcher la désertion de leurs familles, mais encore il ajoutait : « Peut-être ne serait-il point mauvais d’en envoyer quelques-uns dans le Canada,c’est un pays avec lequel ils font eux-mêmes le commerce. » La plaisante raison pour les transporter en Amérique !
Le secrétaire d’État Seignelai envoie à un intendant cette lettre du roi :« J’ai vu la liste que vous m’avez envoyée de ceux de la religion prétendue réformée qui sont dans l’étendue de votre département, et qui ont, jusqu’à présent, refusé de faire leur réunion à l’Église catholique, et ne pouvant souffrir que des gens si opiniâtres dans leur mauvaise religion demeurent dans mon royaume, je vous écris cette lettre pour vous dire que mon intention est que vous les fassiez conduire au plus prochain lieu de la frontière sans qu’ils puissent, sous quelque prétexte que ce soit,emporter aucuns meubles ou effets de quelque nature qu’ils soient. »
Ces mesures d’expulsion ne portaient que sur quelques têtes choisies ; il eût fallu, chose impossible, conduire à la frontière des populations entières pour débarrasser le royaume de tousles opiniâtres.
En 1729 encore, le président du parlement de Grenoble rend cette ordonnance : « Nous avons ordonné que, dans trois mois, le sieur Jacques Gardy fera abjuration de la religion prétendue réformée, à compter du jour de la signification qui lui sera faite du présent, à faute de quoi, ledit délai passé, il est ordonné au sieur prévôt de la maréchaussée de cette province de le faire prendre par des archers et conduire hors du royaume sur la frontière la plus proche, lesquels archers lui feront défense d’y rentrer sous la peine des galères. »
Quant à ceux qu’on tenait sous les verrous, on ne se résignait à leur ouvrir les portes des prisons pour les conduire à la frontière que lorsque l’on avait épuisé tous les moyens pour provoquer leur abjuration.
La veuve Camin était prisonnière au château de Saumur depuis de longues années sans qu’on eût pu la faire abjurer. Pontchartrain écrit au gouverneur : « Le roi est résolu de la faire sortir du royaume, après qu’on aura essayé de la convertir. Pour cet effet il faut tenir cette décisionsecrèteet mettre tous les moyens possibles en usage pour l’obliger à s’instruire, en lui faisant entendre que c’est le seul expédient à mettre fin à ses peines ; et si, dans trois mois, elle persiste dans son opiniâtreté, on l’enverra hors du royaume.
Comme on savait que les prisonniers préféraient tout, même les galères, à la transportation en Amérique, on faisait peur jusqu’au bout de l’Amérique, dit Elie Benoît, aux expulsés, que l’on conduisait aux frontières du royaume, et cet artifice réussit contre quelques-uns qui perdirent courage à la veille de leur délivrance.. Le marquis de la Musse était déjà sur un vaisseau étranger, avant qu’il eût appris qu’on voulait le relâcher ; il n’en sut rien qu’après que celui qui était chargé de le conduire se fut retiré et que les voiles furent levées. —« On nous mena dans notre charrette, dit Anne Chauffepié, à un village nommé Etran, où nos gardes et nous montâmes sur le vaisseau qui nous attendait pour mettre à la voile, etce fut là seulementque nos gardes nous dirent qu’on nous emmenait en Angleterre ou en Hollande, car, jusqu’à ce moment, ils nous avaient toujours fort assuréqu’on nous mènerait en Amérique. »
Pour en revenir à Blanche de Gamond, la victime d’Hérapine, ou la Rapine, comme l’appelaient les huguenots, quand on lui eut fait cette menace de la transporter en Amérique, elle résolut de s’évader de l’hôpital de Valence avec trois de ses compagnes ; mais, en franchissant une haute muraille, elle tomba et se rompit la cuisse, si bien qu’elle fut reprise par ses bourreaux et ramenée à l’infirmerie où se trouvait son amie Jeanne Raymond, blessée comme elle.
« L’un me prit par la tête, dit-elle, et les autres par le milieu de mon corps, ainsi on commença à monter les degrés. Je souffrais comme si j’eusse été sur une roue ; tous les degrés qu’on montait ébranlaient si fort mon corps et mes os qu’ils craquetaient tous. — Un moment après on vint pour me déshabiller, ce fut des maux les plus cuisants du monde. Ils étaient trois ou quatre filles, les unes me tenaient entre leurs bras, les autres me délaçaient, les autres m’ôtaient mes bas ; c’est alors que je fis des cris, car les os de mon pied gauche étaient démis. Puis on me mit dans une peau de mouton, là où je demeurai jusqu’au troisième jour sans qu’on me changeât de place, ni nous faire accommoder nos desloqûres, nous priâmes tant qu’enfin on nous fit venir un homme, nommé maître Louis Blu qui nous remit nos os. Il accommoda premièrement Mlle Terasson, et puis moi, ce furent des cris et des larmes que ma cuisse me causait, car elle était démise etmoulue,cela dura assez longtemps, devant qu’il eût accommodé, en six ou sept parts de ma personne, les os qui étaient démis de leur place. On demeura huit jours sans venir voir nos meurtrissures.
On ne me donna point de bouillon ni autre chose... M. de Brezane ne manquait pas de nous faire de rudes menaces de temps en temps ; en venant nous voir il nous disait :« Quoique vous soyez estropiées, cela n’empêchera pasqu’on ne vous mène en Amériquepour vous faire prendre fin, mais en attendant je vous ferai mettre dans un cachot et vous pourrirez là-dedans. »
Il fallait qu’on fût quatre personnes pour me lever, chacune d’elles prenait le coin du matelas et avec le matelas on me mettait par terre puis deux filles me tenaient entre leurs bras et les autres faisaient mon lit, puis on tâchait de m’y mettre dessus ; mais c’était-là la plus grande peine parce qu’on ne pouvait pas m’y mettre sans metoucher.Et comme je pourrissais vive et que ma peau s’ôtait dèsqu’on me touchait, c’étaient des cris, des larmes et des soupirs, les plus grands qu’on ait jamais ouïs, la nuit et le jour sans relâche...
Comme M. le comte de Tessé avec l’évêque de Valence approchaient de mon lit, la plus grande hâte qu’ils eurent, ce fut de se boucher le nez et ensuite de prendre la fuite à cause de la puanteur, et de cequ’on n’avait pas soin de changer le linge de ma plaie,car elle coulait nuit et jour et perçait le matelas ; et toutes les fois qu’on me levait, il ressemblait à un ruisseau, et quoiqu’on eut parfumé la chambre, cela n’empêchait pas qu’il n’y eut une grande puanteur. »
Grâce aux démarches d’amis puissants, et à un sacrifice pécuniaire que sa mère consentit à s’imposer pour faire disparaître les dernières oppositions, Blanche de Gamond, autorisée à se rendre à Genève, put sortir de l’hôpital de Valence. La malade partit, couchée à plat ventre sur un sac rempli de foin, posé en travers sur la selle d’un cheval, les pieds appuyés sur l’un des étriers. Ce fut un nouveau et cruel martyre ; à chaque pas du cheval, c’étaient de terribles douleurs ; il fallut s’arrêter toutes les deux ou trois lieues, et, à chaque étape, séjourner plusieurs jours pour se reposer, si bien que l’on mit un mois pour faire les quatorze lieues qui séparent Valence de Grenoble.
Celui qui visite les prisons d’aujourd’hui, ne peut avoir aucune idée de ce qu’étaient les prisons du temps de Louis XIV, ces sépulcres des vivants où furent entassés les huguenots après la révocation, et où tant de victimes furent jetées pendant près d’un siècle pour cause de religion.
La plupart des cachots des châteaux forts et des prisons d’État étaient de sombres réduits, dans lesquels l’air et le jour ne pénétraient que par une étroite lucarne, donnant parfois sur un égout infect ; ils étaient si humides que les prisonniers y perdaient bientôt leurs dents et leurs cheveux, les insectes y pullulaient ainsi que les souris et les rats, et les tortures de la faim venaient souvent s’ajouter aux autres souffrances qu’on avait à y supporter. Je laisse la parole aux témoins oculaires et aux victimes pour ne pas être accusé d’exagération dans la description de ces lieux de torture.
Voici d’abord le témoignage d’Elie Benoît :
« Il ya des lieux où les cachots sont si noirs, si puants, si pleins de boue et d’animaux qui s’engendrent dans l’ordure, que la seule idée en fait frémir les plus assurés. Presque partout ces cachots sont des lieux où il passe des égouts et où les immondices de tout le voisinage viennent se rendre. Dans plusieurs on voit passer les ordures des latrines, et, quand les eaux sont un peu hautes, elles y montent jusqu’au cou de ceux qui y sont confinés... A Bourgoin les cachots n’y sont rien autre chose que des puits, pleins d’eau puante et bourbeuse... On y descend les prisonniers par des cordes, et on les y laisse suspendus de peur qu’ils ne fussent étouffés s’ils tombaient jusqu’au fond.
Le cachot de la Flosselière est une véritable voirie, où passent toutes les ordures d’un couvent voisin. On avait la méchanceté d’y porter exprès des charognes pour incommoder les prisonniers de leur puanteur. Tels sont encore ceux d’Aumale en Normandie, tels ceux de Grenoble où le froid et l’humidité sont si terribles que plusieurs, au bout de quelques semaines, ont perdu les cheveux et les dents... Certains cachots sont si étroits qu’on n’y peut être debout. Les malheureux qu’on y jette ne peuvent trouver de repos qu’en s’appuyant contre la muraille en se mettant comme en un peloton pour se délasser en pliant un peu les jambes.
Il y en a qui sont faits à peu près comme la coiffure d’un capucin, un peu larges d’entrée, mais rétrécissant jusqu’au fond, en sortequ’on n’y peut tenir qu’en mettant les pieds l’un sur l’autre, et que la seule posture où un homme s’y puisse mettre, est de demeurer demi couché, sans être jamais ni debout, ni assis ; sans pouvoir se remuer, qu’en se roulant contre la muraille ; sans pouvoir changer la situation de ses pieds, comme s’ils étaient attachés avec des clous et qu’ils ne pussent tourner que sur un pivot... Avec tout cela ces lieux ne sont ouverts que pour donner aux prisonniers autant d’air qu’il en faut pour n’étouffer pas, etcet air ne leur vient que par des crevasses qui, outre qu’elles apportent un air impur et infect, exposent aussi ces lieux pleins d’horreur à toutes les injures des saisons.
La plupart des cachots n’ont de jour, qu’autant qu’il en faut pour faire apercevoir aux prisonniersles crapauds et les vers qui s’y engendrent et s’y nourrissent...On avait parfois la cruauté de mettre aux prisonniers les fers aux pieds et aux mains... On refusait aux malades tout ce qui pouvait leur faire supporter leur mal avec plus de patience...Le geôlier appliquait impunément à son profit ce qu’il recevait pour le soulagement des prisonniers.. On laissait ceux-ci dans les plus horribles cachots autant de temps qu’ils y pouvaient demeurer sans mourir. Après qu’on les en avait retirés, pénétrés d’eau et de boue, on ne leur donnait ni linge ni habits à changer, ni feu pour sécher ce qu’ils avaient sur le corps... On en a retiré parfois dans des états qui auraient fait pitié aux peuples qui s’entremangent ; on les voyait enflés partout, leur peau se déchirait en y touchant, comme du papier mouillé ; ils étaient couverts de crevasses et d’ulcères, maigres, pâles, ressemblant plutôt à des cadavres qu’à des personnes vivantes. »
« Les prisons de Grenoble étaient si remplies, en 1686, écrit Antoine Court, que les malheureux qui y étaient renfermés, étaient entassés les uns sur les autres ; dans une seule basse-fosse, il y avait quatre-vingts femmes ou filles, et dans une autre, soixante-dix hommes. Ces prisons étaient si humides, à cause de l’Isère qui en baignait les murailles, que les habitsse pourrissaient sur les corps des prisonniers. Presque tous y contractaient des maladies dangereuses, et il leur sortait sur la peau des espèces de clous qui les faisaient extrêmement souffrir, et ressemblaient si fort aux boutons de la peste que le parlement en fut alarmé et résolut une fois de faire sortir de Grenoble tous les prisonniers »
Blanche de Gamond qui fut enfermée dans ces prisons avant d’être conduite à l’hôpital de Valence, écrit :
« Comme la basse-fosse était un mauvais séjour extrêmement humide, je tirai du venin tellement, que je tombai dans une grande maladie, car j’étais détenue d’une fièvre chaude... Il me sortit de rechef un venin à la jambe droite, elle était si défigurée à cause du venin que j’avais tiré de ces lieux humides qu’on croyait qu’il faudrait la couper.
Mesuard dépeint ainsi sa prison de la Rochelle
Étant dans ce triste lieu au plus fort de l’hiver, qu’il ne cesse de pleuvoir, du côté du soleil levant, la mer y montait, et comme ce cachot n’est qu’une voûte, l’eau y entrait en chaque fente de pierre, dégouttant sans cesse. Enfin nous étions entre deux eaux ; il pleuvait partout, jusque sur notre lit qui était exposé sur un le peu de paille par terre ; ayant aussi les latrines au même lieu qui empoisonnaient. »
À Aigues-Mortes, le froid, l’humidité et le mauvais air firent mourir seize prisonniers en six mois. À Saint-Maixent, plusieurs malheureux périrent ayant de la boue jusqu’aux genoux. À Nîmes, raconte le huguenot Jean Nissolle, pour augmenter l’horreur du cachot sale et puant où l’on enfermait les prisonniers, on y fit couler l’ordure des lieux.
Partout les prisonniers, dévorés par la vermine, souffrant du froid et du mauvais air, étaient encore exposés à mourir de faim, par suite de la rapacité de leurs geôliers. Les prisons étaient affermées et faisaient partie des domaines de l’Étatproductifs de revenus,en sorte que c’était sur le prix alloué aux geôliers à chaque entrée nouvelle, que devait se prélever le montant de leur bail. Une pareille obligation annulait en fait tous les règlements destinés à protéger un détenu contre des spéculationsmeurtrières ;aussi, en 1665, un geôlier avait-il été condamné à mort pour avoir laissé mourir de faim un prisonnier.
Les commandants des châteaux forts, de même que les geôliers, économisaient le plus qu’ils pouvaient sur les pensions qui leur étaient attribuées pour leurs prisonniers. M. de Coursy, gouverneur du château de Ham, par exemple, fut sévèrement admonesté par le ministre, pour ne donner à un détenu que six sous par jour pour sa nourriture, alors que le roi avait fixé à trente sous la pension journalière de ce détenu, et le laissertout nu et manquant de toutes choses.
Farie de Garlin, huguenot détenu à la Bastille, passe onze ans dans une des chambres basses des tours du château appeléescalotteset, après avoir usé et pourri le peu de vêtements et la seule chemise qu’il avait sur le corps, en est réduit à se couvrir uniquement de la mauvaise courtepointe qui était sur son lit.
Le gouverneur de la Bastille économisait terriblement, on le voit, sur les dépenses d’habillements de ses prisonniers.
En 1765, des prisonnières huguenotes détenues depuis dix-huit ans dans les prisons de Bordeaux adressent une requête à M. de la Vrillière pour obtenir leur mise en liberté, elles font valoir que deux d’entre elles, âgées de quatre-vingts à quatre-vingt-deux sontimbécilesdepuis plus de dix années. La Vrillière, ordonne d’attendre pour les plus jeunes, mais de relâcher les plus âgées. Le geôlier refuse de libérer ses prisonnières, sous prétextedes droits de gîte et de geôle qui luisont dus par elles ; il faut que constatation soit faite que ces prisonnièresn’ont pas de bienpour que ce geôlier rapace consente enfin à leur ouvrir les portes de la prison, en se contentant d’une très légère somme. Il semblait si naturel de grappiller sur les sommes allouées pour l’entretien et la subsistance des prisonniers, que, à l’occasion d’une accusation de malversation dans la distribution du pain des prisonniers, dirigée contre les officiers de la maréchaussée de Toulon, l’intendant de la marine objectenaïvementqu’il a toujours été d’usage, d’employer les économies faites sur les fonds alloués pour le pain des prisonniers, aux réparations du Palais et à diverses menues dépenses.
On lit dans une relation sur la prison d’Aigues-Mortes : « On demeuraquelques jourssans rien donner à quatre d’entre nous.
Les autres prisonniers nous firent part de leur pain pendant ce temps. Il y avait quatre portes à passer, d’eux à nous ; au milieu il y avait un appartement où était un de nos frères prisonniers. II fallait donc que ceux qui nous faisaient ainsi part de leur nécessaire, l’attachassent avec du fil au bout d’un roseau, et le fissent passer sous ces quatre portes. Cependant le roseau était court, et, sans le prisonnier qui, par une providence particulière, se trouva heureusement au milieu, pour prendre le pain et pour nous le donner, nous serions peut-êtremorts de faimdans cette prison... Quand nous voulions faire acheter quelques provisions, il fallait donner l’argent par avance et payer les choses doublement, encore étions-nous fort mal servis. Une fois on nous apportait de la viande, et on oubliait le bois qu’il fallait pour la faire cuire ; une autre fois on apportait le bois et on laissait la viande. Il manquait toujours quelque chose ;ce qui nous faisait le plus souffrir c’était la soif, on fut une fois deux jours sans nous donner une goutte d’eau.
Six prisonniers enfermés depuis vingt-deux ans commeopiniâtresau château de Saumur, écrivent en 1713 à l’évêque de Bristol, ministre plénipotentiaire de la reine d’Angleterre : « M. Desy, le lieutenant du roi, mettra tout en œuvre pour nous retenir toute notre vie, àcause du profit qu’il tire sur notre nourriture, quilui est payée vingt sous par jour, desquels il retient une partie et donne l’autre au cantinier qui nous nourrit fort mal. »
Un de ceux qui eurent à souffrir le plus cruellement de la cupidité de ses geôliers fut Louis de Marolles, ancien conseiller du roi, un des hommes les plus instruits et les plus capables du XVII° siècle, que l’on avait enterré tout vivant dans un des plus affreux cachots de Marseille. Il n’eut pas seulement à souffrir de l’isolement, des ténèbres et du froid ; son geôlier, l’exploitant de la manière la plus indigne, le laissa sans vêtements et souvent sans nourriture. Son corps s’exténua, sa tête s’exalta ; souffrant du froid et de la faim, en proie à de cruelles hallucinations, si bien qu’un jour il se brisa la tête en tombant contre un des murs de son cachot. Après deux mois de cruelles souffrances pendant lesquels, dit un de ses correspondants, il ne songeait plusqu’à déloger,Louis de Marolles mourut le 17 juin 1692.
Voici quelques extraits des rares lettres que cemort vivantput écrire, dans son sépulcre, à la clarté d’une petite chandelle d’un liard, soit à un forçat pour la foi, soit à sa femme que, par anticipation, il appelait ma chère et bien-aimée veuve.
Mon petit sanctuaire a douze de mes pieds de longueur et dix de largeur ; le plus grand jour qu’il ait, vient par la cheminée, la clarté n’y entre qu’autant qu’il faut pour ne pas heurter le jour contre les murailles. Quand j’y eus été trois semaines, je me trouvai attaqué de tant d’incommodités que je ne croyais pas y vivre quatre mois, et le douzième de février prochain, il yaura cinq ans que Dieu m’y conserve.
Environ le 15 octobre de la première année, Dieu m’affligea d’une fluxion douloureuse qui me tomba sur l’emboîture du bras droit avec l’épaule. Je ne pus plus me déshabiller, je passais les nuits, tantôt sur le lit, tantôt me promenant dans mes ténèbres ordinaires. La solitude et les ténèbres perpétuelles dans lesquelles je passais mes jours se présentèrent à mon esprit sous une si affreuse idée, qu’elles y firent de très funestes impressions. Il se remplit de mille imaginations creuses et vaines qui l’emportèrent très souvent dans les rêveries qui duraient quelquefois des heures entières... Dieu voulut que ce mal durât quelques mois... J’étais plongé dans une profonde affliction, quand je joignais à ce triste état, le peu de repos que mon corps prenait,j’en concluais que c’était là le grand chemin au délireet il y a quatre ou cinq mois j’étais encore très incommodé d’une oppression de poumon qui me faisait presque perdre la respiration, j’avais aussi des vertiges et je suis tombé à me casser la tête. Ces tournoiements de tête n’étaient causés, à mon avis, quepar le défaut de nourriture... »
Demandant à son correspondant de lui faire acheter pour quelques sous de fil afin de pouvoir recoudre son linge, sa culotte et autres hardes, de Marolles dit : « Il y a plus de six semaines que les sergents en demandent tous les jours pour moi chez lemajorsans pouvoir en obtenir. Voilà où j’en suis pour toutes choses avec lui... Il y a bien trois mois qu’il ne me fait plus blanchir mon linge... J’ai été plus d’un an sans chemise, mes habits plus déchirés que ne sont ceux des plus pauvres gueux qu’on voit aux portes des églises ; j’ai été pieds nus jusqu’au 15 décembre ; je dis pieds nus, car j’avais des bas qui n’avaient point de pieds et, pour souliers, des savates décousues des deux côtés et percées en dessous...
Voici le quatrième hiver que j’ai passé presque sans feu. Le premier des quatre, je n’en eus point du tout. Le second, on commença à m’en donner le 28 janvier et on me le retrancha avant février fini. Le troisième, on ne m’en donna qu’environ quatorze ou quinze jours.
Je n’en ai point encore vu de cet hiver et n’en demanderai point du tout. Le major pourrait bien m’en donner s’il voulait, car il a de l’argent à moi ; mais il ne veut pas m’en donner un double ; j’ai senti vivement le froid, la nudité et la faim... J’ai vécu de cinq sous par jour, ce qui est la subsistance que le roi m’a ordonnée. J’ai été nourri d’abord par un aubergiste qui me traitait fort bien pour mes cinq sous. Mais un autre qui lui a succédé m’a nourri durant cinq mois et retenait tous les jours deux sous six blancs ou trois sous sur ma nourriture. Enfin le major entreprit de me nourrir à son tour. Il faisait d’abord assez bien, mais enfin il s’est lassé de le faire. Il n’ouvre mon cachot qu’une fois par jour, et m’a fait apporter plusieurs fois à dîner,à neuf heures, à dix heures et à onze heures du soir.J’ai passé une foistrois jourssans recevoir de pain de lui, et, d’autres fois,deux fois vingt-quatre heures. »
Le huguenot Ragatz mourut fou dans un de ces profonds cachots de Marseille dont le fondétait tout pourriture et fourmillait de vers.En 1703, Daniel Serre écrit : « La citerne répond précisément au fond de la caverne où je suis, ce qui la rend fort humide. » Ses vêtements pourrissaient sur lui, et l’on avait placé sur l’étroit soupirail destiné à aérer son cachot, des plaques de fer percées de petits trous, en sorte, « dit-il, que l’air que l’on respire dans l’endroit triste et étroit où je suis enfermé, est si grossier et si corrompu qu’il est impossible qu’on y jouisse longtemps d’une parfaite santé. »
Daniel Serre était en effet fort malade et le médecin refusait de lui donner des remèdes sous ce prétexte, que ceux qu’il prendraitdans un lieu si humidelui feraient plus de mal que de bien. Serre ayant objecté que depuis qu’il est dans son cachot, il a toujours mal aux dents et a dû déjà se faire arracher cinq ou six dents, le docteur lui répond tranquillement, que, s’il reste davantage dans ce cachot, il faudra qu’il y perdenon seulement ce qui lui reste de dents ,mais aussi la cervelle.
« Quelle plus grande misère peut-on s’imaginer, écrit le pauvre prisonnier, que celle d’être privé de la lumière du jour pendant des années, d’être livré en proie à l’avarice et à la sévérité d’un concierge impitoyable etde se sentir,pour ainsi dire,mourir à tout moment »
Besson, un des prisonniers de Marseille, dit en 1709 :
« Il a fait plus froid en ce pays qu’il n’avait fait depuis quarante ans. Quelques instances que nous ayions faites pour obtenir les robes que le roi nous donne, nous n’avons rien avancé... On nous tient dans des appartements où il n’y a ni jour ni air, et où l’on ne peut respirer, tellement que plusieurs d’entre nous sont souvent malades ; nous en avons trois à l’hôpital... A part ces trois malades, il en est mort un il n’y a que quelques jours qui avait resté treize à quatorze ans dans les cachots. » De son côté Carrière écrit qu’il a été enfermé dans un profond cachot, où l’on ne pouvait entrerqu’à quatre pieds,l’entrée étant comme celle d’un four. Il est dans un fond de tour, où l’on descend par seize degrés, en passant par cinq portes, puis plus bas encore, par le moyen de quelque machine.« Cela, dit-il, : seraitplus propre à mettre les morts que les vivants, il n’ya aucun jour et il faut vivre à la lumière de la lampe ; notre nombren’a pu se soutenir,car le lieu est si méchant qu’il parait impossible d’y durer. Mon frère y est devenuperclus de tousles membres... un autre qui fut traduit à l’hôpital avec lui, y mourut peu de temps après, deux autres y sont morts depuis. »
On comprend que, dans de telles conditions, le nombre des prisonniers ne pûtse soutenir,les uns mouraient, les autres se tuaient désespérés, beaucoup perdaient la raison.
Des quatre ministres, enfermés aux îles Sainte-Marguerite et recommandés à Saint-Mars par cette instruction spéciale « qu’ils soient soigneusement gardés, sans avoir communication avec qui que ce soit, de vive voix ou par écrit, sous quelque prétexte que ce soit », trois étaient fous au mois de novembre 1693.
Avec l’inaction absolue à laquelle étaient condamnés le corps et la pensée dans ces sépulcres voués au silence et à l’obscurité, la folie finissait par s’emparer du malheureux mort-vivant enfermé dans un tombeau anticipé. On conte qu’un prisonnier, ayant trouvé une épingle, ne cessa plus de la perdre en la jetant dans l’ombre de son cachot, puis de la rechercher pour la reperdre encore et que cette occupation machinale le sauva de la folie, dont il avait ressenti les premières atteintes.
Quand il s’agissait dehuguenots,on n’était jamais disposé à faire pour les prisonniers quelque chose qui pût les empêcher de perdre la raison. Ainsi deux ministres emprisonnés, l’un sain d’esprit, l’autrefou, demandent des plumes et de l’encre pour faire des remarques sur l’histoire sainte. — Le secrétaire d’État oppose un refus à la demande du ministresain d’esprit,et permet de donner une seule fois des plumes et de l’encre à celui qui estfou,à condition d’envoyer ce qu’il aura écrit. On fait observer à un secrétaire d’État, que la prison affaiblit l’esprit d’une huguenote, détenue comme opiniâtre, il répond :l’y laisser !
Une fois entré dans les cachots des Bastilles du grand roi, l’on n’en sortait pas souvent, et pendant vingt ou trente ans, les prisonniers rayés du monde des vivants, souffraient mille morts sans que personne ne sût s’ils vivaient encore ou s’ils avaient passé de vie à trépas. Deux de ces morts-vivants, les pasteurs Cardel et Maizac, enfermés avec cette recommandation :« Sa Majesté ne veut pas que l’homme qui vous sera remis soit connu de qui ce soit », sont réclamés en 1713 par les puissances protestantes, Louis XIV répond qu’ils sont morts, et il est établi que Cardel vécut jusqu’en 1715, et que Malzac ne mourut qu’en 1725.
Que fallait-il faire pour venir dans cet enfer des prisons, d’où l’on n’était jamais assuré de sortir une fois qu’on y était entré ? Il suffisait, pour n’importe qui, catholique ou protestant, d’avoir provoqué la haine ou l’envie chez quelqu’un de ceux qui, disposant de lettres de cachet en blanc, pouvaient faire disparaître sans esclandre ceux qui leur déplaisaient ou leur portaient ombrage. Il suffisait même qu’un agent de police trop zélé vous eût fait emprisonnersans motif pourque, si personne ne vous réclamait, vous restiez à tout jamais enseveli dans ces oubliettes du grand roi.
Ainsi, Saint-Simon raconte que lorsque, à la mort de Louis XIV, le régent fit ouvrir les prisons, on trouva dans les cachots de la Bastille un prisonnier enfermé depuistrente-cinq ansdans cette prison d’État. Ce malheureux ne put dire pourquoi il avait été arrêté, on consulta les registres et l’on remarquaqu’il n’avait jamais été interrogé.C’était un Italien, arrêté le jour même de son arrivée à Paris, sans qu’il sût pour quelle raison, et ne connaissant personne en France. On voulut le mettre en liberté. Il refusa, en disant qu’il ignorait depuis trente-cinq ans ce qu’avaient pu devenir en Italie, tous les siens, pour lesquels sa réapparition serait une gêne et peut-être un malheur. Il obtintla faveurde rester à la Bastille, où il avait passé au cachot toute une existence d’homme, avec permission d’y prendre toute la liberté possible en un tel séjour.
C’est la Bastille qui, pour le peuple, personnifiait ce régime du bon plaisir permettant au roi, aux ministres, aux seigneurs de la cour et parfois à un agent subalterne, de supprimer un citoyen, de l’arracher à sa famille, de faire de lui un être innommé qui, jusqu’au jour de sa mort, n’était plus désigné que sous le numéro du cachot dans lequel il était enfermé. C’est parce que la Bastille était pour le peuple le symbole de ce terrible régime de l’arbitraire, que la chute de cette arche sainte du despotisme, fut saluée par de si vives et de si unanimes acclamations ; c’est pour la même raison, que la troisième République a choisi pour la célébration de la fête nationale, le jour de la prise de la Bastille.
Patrimoine oral, mémoires sur les défunts ensevelis au cimetière protestant de Saint-Auban sur l’Ouveze. Recueil commencé à l’occasion des journées du Patrimoine de Sept. 2009 et revu à chaque nouvelle information parvenue à Colette Kleemann-Rochas
Le registre des délibérations du conseil presbytéral de Sainte Euphémie et Saint Auban (1906- 2009)commente, en 1927, la fête du centenaire de l’ouverture du temple à Saint Euphémie (1827) ainsi que des projets de rénovation du temple à St Auban.
Le petit temple de Saint Auban (Bâtiment de 1774, ré-ouvert pour le culte vers 1836)