Quand les femmes construisent l’Histoire
Contribution au thème des journées du patrimoine,
(Histoire locale, mémoire orale)
Vies de femmes
Yvonne raconte, Interview 2010
1. Vous êtes Yvonne Roux, épouse Montaud. Quand et où étés- vous née ?
– Je suis née ici au Chatelard, dans la maison de mes parents et de mes grands-parents, derrière la maison actuelle qui a été construite par mon fils Yves et sa femme Marie-Hélène.
La maison Roux au Chatelard, lieu de naissance d’Yvonne
Je suis née le 4 février 1925. Oui, juste le même jour que ta mère mais je suis plus jeune de 10 ans. Il était rare pour le 4 février que je ne monte pas à La Galane pour nos anniversaires. En fait elle était du 3, mais nous fêtions ensemble.
J’étais la dernière de 4 enfants et je suis aussi la dernière survivante des Roux. Le nom s’éteindra avec moi. Mes parents Joseph Roux et Angeline Galland avaient eu 4 enfants. Les deux premiers sont nés avant 1914 et les deux autres après la guerre. Mais seules les filles ont survécu. Des deux garçons, quoique je ne les aie jamais connus, je sais les prénoms, même si dans nos déménagements, entre la vieille maison de mes parents et celle-ci, nos carnets de famille se soient égarés. L’un s’appelait René. Il n’était pas bien portant à la naissance et il est mort en très bas âge ; le second Fernand est mort jeune aussi, d’une maladie des poumons. On disait que ma mère n’avait pas un bon lait. C’est pourquoi on a décidé de me mettre en nourrice. A cette époque, il n’y avait pas de lait en boite pour nourrissons, ni en poudre. Les parents ont décidé ensemble de chercher une nourrice. C’est Léontine Marcelin de Saint-Pierre qui m’a nourrie pendant neuf mois, de février à octobre. On m’aurait laissée plus longtemps mais elle était déjà enceinte de son cinquième, Albert, qui est né en 1926. C’est pour cela qu’on m’a enlevée à la fin 1925. J’ai toujours aimé Léontine. Quand elle habitait au Buis avec Albert, j’allais la voir quand je pouvais.
Il arrivait souvent que les enfants soient placés en nourrice. Bien sûr c’était le cas lorsque leur mère mourrait en couches, mais pas seulement. Henri Ravoux par exemple qui avait un frère jumeau, Germain, avait été mis en nourrice au Plan de Rioms dans la famille d’Éloi Tourniaire, auprès de Marie, mère d’Émile Tourniaire. Dans mon cas, on voulait me garantir plus de santé qu’à mes frères. J’étais la petite dernière. Il y avait entre ma sœur Marie et moi 17 ans de différence. J’avais 3 ans quand elle est partie, ce qui fait que je me souviens à peine de son mariage et plus tard de son départ pour Sablet avec son mari, Henri Veux. Ils cédaient la ferme de La Truchière, au dessus de l’Entane, à son frère Edmond Veux , qui va avoir 100 ans le 24 novembre 2010. En fin de compte, j’ai été élevée comme une enfant unique. Mon père m’aimait beaucoup. J’étais gâtée, n’ayant pas à me soucier de garder les moutons ou d’autres tâches ménagères pour lesquelles il y avait ma mère Angeline Galland épouse Roux et ma grand-mère, Alix Pessin mariée à Victor Galland.
2. Ces Galland étaient-ils parents avec la branche de Léon Galland, qui était à la fois agriculteur, scieur de long avec Paul Pessin et aussi fossoyeur ? Il habitait au pont. Ou alors les Roux étaient-ils plutôt cousins de Charles Galland qui habitait seul au fond du quartier de la Truchière dans la ferme au pied de Garancier, après la mort en couches de sa femme lors de la naissance de jumeaux ?
Photo de Léon galland 1960 et Charles Galland 1936
Plutôt de Charles Galland, quoiqu’il ait été très grand (avec de grandes oreilles aussi !) alors que mon grand-père Galland était petit de stature. Il venait du quartier de la Blache. Il y a les traces d’une maison à la Paluise sur la terre des Blaches, plus loin que la maison des Moyen (anciennement Bernard). C’est de la Paluise que venait ce grand-père Victor Galland ; alors que ma grand-mère Alix (on prononce Aliss) était une Pessin, sœur de Louis Pessin. Eux habitaient au village. En 39, quand la guerre a éclaté et que mon père Joseph Roux a été mobilisé, ma mère était seule dans la maison avec moi. Alors mes grands-parents, Alix et Victor Galland, sont venus habiter ici au Chatelard chez leur chère fille unique, Adeline, ma mère.
Je me souviens que ma grand-mère Alix me parlait de son frère Louis Pessin. Ce sont les enfants de Louis Passin ( disons Louis Ier) scieur de long, arrivé d’Auvergne vers 1850. Ses enfants sont Alix , Louis II, Ferdinand, Louise ( mariée au Buis) et Angeline. Angeline, restée célibataire, est devenue la marraine de la fille de sa soeur Alix, raison pour laquelle ma mère s’appelle Angeline) et hérite de la petite maison d’Angeline dans le village (Par la suite maison Olivier).
3. Il y a quelqu’un qui se souvient bien de vous et qui à votre âge. C’est Madeleine Nicolas-Froment.
– Je m’en rappelle aussi ! Elle a un an de plus que moi. Pendant les vacances, elle aidait ta mère. Nous jouions ensemble ; je montais à La Galane. Mais je me souviens encore mieux d’Hélène Rochas, la première des 4 filles de ton oncle Aimé Rochas. Elle était venue une année à Saint-Auban chez vous quand il y avait encore ton grand-père . Sa maman à Léoux était surchargée. Hélène est allée à l’école ici toute l’année. Nous faisions le chemin ensemble en passant par la planche pour monter à l’école.
4. De votre enfance, vous vous souvenez d’une saveur que vous aimiez particulièrement ? Les confitures ?
– La confiture non. Le chocolat plutôt, oui. J’aimais le chocolat. Mais je ne manquais de rien.
5. Est-ce qu’il y a aussi des bruits de votre enfance dont vous vous souvenez ? Quand vous vous réveilliez, qu’est-ce que vous entendiez ?
– Oh ! La rivière !
Il y avait beaucoup plus d’eau que maintenant ! Il y avait une très longue planche pour la traverser. C’était commode pour monter au village, à l’école. Evelyne et mes enfants, ont passé par là. Vous, les enfants de La Galane, l’empruntiez aussi. Comme le courant l’emportait pendant les crues, on l’avait enchainée. On montait droit au village. C‘était pas boisé comme maintenant. A cette époque, à l’Ouvèze, il y avait encore des écrevisses et des truites. Mais on ne me laissait pas trop aller à la rivière. C’était dangereux pour une enfant. Le courant était fort.
Ma mère avait un jardin sur l’emplacement de cette maison où nous sommes en ce moment. Le saule, c’est Yves qui l’a planté. Et les épicéas aussi ; Ils les ont plantés dans les années 80, quand ils se sont mariés il y a plus de 30 ans.
la rivière, pemier bruit de l’enfance d’Yvonne ici en contrebas de sa maison.
6. Vous habitiez la vielle maison ?
– Oui, ici il n’y avait rien. Bien avant que Christophe ne restaure la maison de mes parents (qui date de 1802), c’est mon fils Yves qui a construit tout ça, les hangars, tout. Les Montaud n’étaient pas de Saint-Auban. Mon mari, Edmond, venait de Bésignan. Quand il est venu, nous avons habité dans la maison Roux, ici derrière, chez mes parents. Et nous y avons toujours habité. D’ailleurs c’est là qu’il est mort.
7. Vous aviez des animaux, des chevaux ?
– Mon père avait un cheval. Nous avions un troupeau aussi. Je me souviens que mon grand-père gardait les moutons. Mon père, lui, cultivait la terre, mais il a passé un temps où la terre ne rapportait guère ; alors Jean Joseph Roux a été facteur. Il faisait la tournée de Montauban . Il faisait la tournée une fois par jour, à bicyclette - ou à pied quand il y avait la neige ! -. Le sac du courrier partait tous les matins à 8h avec le car de Lachau-Sederon-Vaison conduit par Beloeil. Et il arrivait l’après midi à 14h avec le même car, dans l’autre sens. On le distribuait le lendemain, sauf urgence. Mon père a quitté son travail de facteur en 1945.
Avec mon mari, nous n’avons pas conservé l’élevage des moutons. Nous avons pris des vaches : 2 vaches ou 3. Il y avait une collecte du lait le matin tôt à 5 h. C’était Buttard du Buis qui passait. Il fallait laisser le lait de la traite dans des bidons de fer blanc de 20 ou 30 litres, sur un tréteau, au bord de la route. Toutes les années, les animaux étaient contrôlés. On leur faisait une prise de sang pour savoir si les vaches n’avaient pas la tuberculose ou la fièvre aphteuse. Mais cette fièvre ne se transmettait pas à l’homme ! Ce n’était pas pareil que la fièvre de Malte qui ravageaient les troupeaux de brebis !
8. Vous vous souvenez de vos premiers mots ? C’était en français ou en provençal ?
– En français ! Le patois, je le comprends, mais je ne le parle pas. On ne m’a jamais parlé en provençal. Mes parents me parlaient français uniquement. Mais entre eux, ils parlaient patois ; mes grands-parents aussi. Moi, le patois je ne sais pas le parler. J’ai jamais essayé. C’est une langue qui ne me plait pas. Du reste, on ne parlait pas « provençal » ici. Quand j’en lis, j’ai peine à comprendre.
9. A cette époque la maison Roux était assez isolée. Vous vous souvenez de vos voisins ? Par exemple de « la Pianente » ?
– Je ne sais pas pourquoi on l’appelait Pianente ! Son mari s’appelait Elie Crozet. Elle, c’était une Brusset , Louise Brusset épouse Crozet
10. Il y avait d’autres voisins ? Ici derrière il y a une autre maison, n’est-ce pas ?
– Oui, les Ravoux. C’était le cousin germain d’Henri Ravoux et elle, c’était Rose, la cousine germaine de ma mère, la fille de Ferdinand Pessin. Ce voisin s’appelait Henri comme son cousin des Aros qui habite maintenant au Palais. Cousin par la sœur de leur père, Eugène Ravoux. Elle habitait la vallée de Rosan, de l’autre côté de la Clavelière et avait eu cet enfant qu’elle avait appelé Henri .
Pour aider ce fils de sa sœur, Eugène Ravoux des Aros avait acheté une petite maison à Clarisse (c’est la première quand on vient de Terrier). C’est là que « Kaïfa » (c’était le surnom de ce neveu), a ouvert une petite épicerie. On l’appelait Kaïfa, comme on dirait de nos jours Monsieur Casino : c’était le nom de la marque de café qu’il vendait. Kaïfa-Henri Ravoux s’est marié avec Rose Pessin mais ils n’ont pas eu d’enfants. Leur maison est maintenant une ruine. Ils avaient dû en revendre la moitié parce qu’ils avaient fait de mauvaises affaires. L’autre moitié était à Garaix. Maintenant Léon Garaix est propriétaire du tout, mais ça tombe en ruine. D’autres personnes auraient acheté cette demi-maison pour la restaurer mais le problème c’est que cette moitié était enclavée : On n’avait pas créé d’accès direct à la maison. Il fallait passer par chez Léon Garaix qui ne voulait pas laisser un droit de passage.
11. Les Roux étaient nombreux ?
– Oui, mon grand-père Roux avait eu 6 enfants, 3 garçons et 3 filles. Ce n’est du reste pas mon père (Joseph) qui aurait dû reprendre la ferme mais son frère aîné. Mais il est mort d’une maladie des poumons. Ensuite le plus jeune, Émile Casimir, meurt aussi, mais à la guerre de 14 ; il faisait son service militaire quand la guerre a éclaté et il est tombé au début de la guerre. Son nom est sur la plaque du monument aux morts sur Péquin. Sur le chambranle de la porte à l’emplacement où s’arrêtait le car qui les emmenait, les futurs Poilus ont mis des inscriptions qu’on peut encore lire.
Les graffitis et inscriptions des Poilus qui attendaient le car
Après la mort d’Émile, c’est l’unique survivant des garçons, mon père donc, qui a repris la ferme des Roux. Je ne sais pas quel âge il avait quand son frère Émile est mort, mais je sais qu’il avait 14 ans quand son propre père est mort. Les 3 filles ne sont pas restées ici. Émilie, l’ainée, se marie à Arpavon et a 6 filles. Elle a eu aussi un garçon mais il ne s’est pas marié. Du reste, étant devenue Émilie épouse Coulet, le nom de Roux se serait éteint de toute façon. La seconde fille, Marie, étais célibataire, placée à Tarascon. Enfin la plus jeune, Hélène née Roux, meurt en couches à Saint- Sauveur et l’enfant aussi. Je ne l’ai pas connue ; ni du reste mes grands-parents du côté de mon père. Je suis donc la dernière des Roux vivante.
12. Vos voisins venaient en veillée l’hiver ?
– Oui, pour trier les châtaignes ou les amandes. Les hommes jouaient aux cartes. On faisait des oreillettes, des tartes. Ma grand-mère faisait toute sorte de gâteaux. Même des brassados de Pâques. Moi non. Je les achetais tout faits !
13. A part les Ravoux et les Crozet, quels étaient vos autres voisins ? Qui y avait-il à la Ciresse ?
– Cela appartenait aux Brusset de Sainte- Euphémie, à Honoré. Je ne l’ai jamais vue vraiment habitée, cette maison, jusqu’à ce qu’elle soit vendue aux Bonfils qui avaient 5 ou 6 enfants. Avant cela, on s’en servait plutôt comme grange ou pour des cantonniers de passage qui y habitaient un temps avec leur famille. Honoré en avait hérité de ses parents Brusset-Rochas, mouliniers au Pont. La Louise « Pianente » sortait de là-bas, du moulin, comme son frère Honoré et sa sœur Élisa de Saint-Pierre.
14. Les autres maisons vers l’Ouest, dont on voit les ruines, elles étaient habitées ?
– Mon père disait que dans sa jeunesse, la ruine qui appartient aux Marcellin, en face du restaurant Bougalou, était habitée. Et aussi celle de Charenove ou Terre Neuve, où il y avait un célibataire, Simon, qui descendait chercher de l’eau à la rivière parce qu’il n’y avait pas d’eau là-haut. Mais moi je ne l’ai jamais vu. C’est plus vieux que mon père.
15. Et les Sauvaire, derrière les Crozet ?
– Cela appartenait aux Beyssier qui sont descendus ensuite au Buis où ils étaient marchands de fruits. Pour un temps, il a eu la famille de ce cantonnier, M. Sauvaire, qui habitait chez les Beyssier et faisait le cantonnier sur la route de Vercoiran. Sa femme faisait aussi de la couture. Hélas le fils, René Sauvaire qui était allé à l’école à Saint-Auban a été tué en Algérie
16. Et les voisins Garaix, ils ont acheté le moulin à quelle occasion ?
– je ne sais pas. C’est eux qui ont construit la maison du Pont qui faisait aussi café- restaurant. Marie-Louise Garaix venait de la famille Tyrand et habitait la maison qu’a héritée sa sœur Valérie, ici, le long de la route. On dit « A ça de Valérie ». Je ne sais pas exactement d’où viennent les Garaix. Léon Garaix père avait été placé à Saint- Auban (à Chaume) par l’Assistance Publique . Toujours est-il qu’il chantait magnifiquement Minuit Chrétien à toutes les messes de Noël avec une très belle voix. Léon Garaix (le père) était venu tout jeune à Saint Auban après la première guerre mondiale : Edmée est de 1921. Mais je n’en sais pas bien plus. Tu dois voir avec Ginette.
17. On était observant chez les Roux ? Je sais que chez les Pessin, c’était le cas.
– Oui, les Roux aussi étaient pieux. Il ne fallait pas manquer la messe le dimanche, personne ! Moi j’y suis allée tant que j’ai pu. Maintenant, il n’y a pas la messe tous les dimanches. On respectait le travail, l’honnêteté. On ne voyait pas se passer les choses que l’on voit maintenant. C’était vraiment un autre siècle. On marchait droit. Mon père était sévère. Il m’aimait beaucoup, beaucoup. Mais il fallait obéir. C’est lui qui décidait. En ce sens, c’était un patriarche.
18. Et l’école ? Quand y êtes-vous allée ? Qui était votre maitre ? Vous vous souvenez de détails de votre temps d’école ?
J’y suis allée à 5 ans. Et j’ai changé je ne sais pas combien de fois de maitre. D’abord, en 1930, c’était Monsieur Delhomme mais au bout d’un an il est parti à la retraite ; après il y a eu des remplaçants, puis pendant 4 ans j’ai eu Mme Bontoux de Montguers. Du temps où Mme Bontoux était institutrice, son mari avait fait dresser une gloriette entourée de lilas au fond du jardin. On allait y jouer. Et il avait fait planter un marronnier au milieu de la cour qui fait toujours une belle ombre. Je me souviens, moi- aussi, quand Mme Bontoux nous a offert à tous une timbale et une brosse à dent avec du dentifrice pour éviter les carries ! Pour les repas, je revenais vite à la maison en passant par la planche. Il n’y avait pas la cantine. Les enfants des fermes devaient porter leur repas. C’était une classe unique, tous ensemble filles et garçon de 5 à 14 ans, parfois plus de 30 enfants. Difficile pour le maitre ! Autrefois, il y avait eu plus d’enfants et on séparait les filles et les garçons. Mais plus dans les années 30. On jouait à la balle, à la marelle, sous le préau quand il pleuvait. Nous n’avons pas fait beaucoup de voyages d’école. Une seule fois avec Mme Bontoux, nous sommes allés à Sisteron avec le car de Marcel Bernard de Montauban. C’est la seule fois où nous avons fait une sortie pour la journée.
A 13 ans, je me suis présentée au certificat d’études, mais j’ai échoué et je n’ai pas voulu me représenter. Je n’avais pas la tête pour les études. J’aimais pas ça. Je n’en avais pas non plus besoin, ne devant pas partir pour d’autres études, vu que j’étais fille unique. Mes parents voulaient me garder près d’eux. Mon grand-père est décédé en 1940 à 82 ans, un jeudi saint, la même semaine qu’Émilie Arnoux du Pouzet (la sœur de Polet et belle-sœur de Yetha). Un hiver terrible où ta grand-mère aussi est décédée, à La Galane.
Le jeudi, je ne devais pas travailler aux champs, non, ni à la cuisine. J’allais m’amuser avec Paulette ou bien je restais là. Oui, j’étais gâtée ! Mais après mon mariage, j’ai beaucoup travaillé aux champs. Moi aussi j’en ai lié des gerbes ! Surtout lorsque mon père âgé de 62ans a eu une hémiplégie qui lui handicapait la main droite et la jambe. Luis aussi avait fait la première guerre et avait été blessé d’une balle qui lui avait écorché la joue. Il en avait meme reçu une petite pension de guerre.Il restait au village, faisait son bois ou jouait à la belote aux cafés d’à côté. Surtout chez Raymond - ou chez Pascal qui est décédé en 1956, la même année que ma grand-mère Alix - c’est pour ça que je m’en souviens-
19. Pour les vêtements, vous vous souvenez d’un habit particulier qu’on vous aurait acheté ou fait faire ?
– on avait des blouses, ça variait. On les achetait à la foire de la Saint-Martin le 11 novembre. Mais Paulette a raison, il y avait aussi la foire de Saint-Antoine, le 17 janvier, et celle du jeudi de l’Ascension. On ne prêtait pas beaucoup d’attention aux vêtements : J’avais toujours ce qu’il me fallait. Je ne manquais de rien.
20. Quand vous deveniez adolescente, votre maman vous expliquait les transformations du corps, les règles… ?
Oui, ma maman, oui. Vaguement, mais j’étais avertie.
21. Où est-ce que vous laviez le linge ?
– D’abord à la rivière, avec du savon. Plus tard mon père avait installé une pompe à essence qui remontait l’eau de la rivière jusqu’à un lavoir qui était en dessous de la maison, dans la basse-cour. Ma mère et ma grand-mère lavaient donc dans ce bassin dans de la basse-cour. Mais ta mère aussi venait y laver en été, quand il y avait la sècheresse et que l’eau du Rang n’arrivait plus au bassin qu’avait construit ton père. Au Châtelard en revanche, on avait bénéficié de l’adduction (qui faisait un détour par le pont). Il y avait assez de pression car la conduite d’eau venait du Charruis. Ta mère pendait sur place le linge lourd, les pantalons, les draps, ici sur les fils. En cas d’orage, ma mère et moi, nous le dépendions. Avant l’époque où on faisait bouillir le linge avec une lessiveuse, on faisait parfois chauffer de l’eau dans une bassine, sur la cuisinière. Comme dans toutes les maisons d’autre fois, il y avait, bien sûr, l’âtre avec la crémaillère et le chaudron mais on ne s’en servait pratiquement plus. Du reste en restructurant la maison, Christophe a enlevé cette vieille cheminée.
22. Vous avez un bon souvenir de vos parents !
– Mon père m’aimait vraiment beaucoup, même s’il était très sévère. Quand nous nous sommes mariés, ils sont allés vivre à Saint-Auban où mon père est mort. C’est moi qui l’ai soigné avec ma mère. Quand elle a été seule, elle est redescendue avec moi et je l’ai soignée ici. A Saint-Auban, ils avaient hérité de la partie basse des maisons Pessin appartenant à ma grand-tante Angeline, la marraine de ma mère, ce qui explique qu’elles portent le même prénom. Il y avait deux chambres de plain pied, et une cuisine avec un sol simple. Juste à gauche des Lachau. Les deux autres maisons des Pessin montaient sur deux étages. La plus proche des Halles était, avant de devenir magnanerie, un café-relais tenu par les Pessin de la première génération. Il y avait eu un Louis Pessin, l’ancien, scieur de long qui était venu d’Auvergne et avait 5 enfants un Louis (second) et Ferdinand, Alix, Angeline et Louise. Louis second a eu à son tour quatre enfants : Paul (le père de Paulette) qui continue le travail de scieur de long et d’agriculture puis un Louis (comme son père et son grand père !), puis Claire et Germain. A la mort de Louis Pessin, ça s’est partagé, le café a fermé et on a employé les salles comme magnanerie.
Comme autres cafés, il y avait celui d’Octave Brachet sur Péquin, celui de Guigou, contigu à la fontaine d’en bas. Ce café est passé à sa fille Noëlie et à son gendre Gustave Raymond. Il y avait plus bas dans la rue celui des Crozet, là où se trouve encore La Clavelière. Julie Crozet née Chastel qui tenait le café avait été veuve jeune et s’était remariée avec un Pascal qui venait de Pierrelatte. Julie qui était vive, petite avec des cheveux noirs, était une Chastel qui venait d’Izon la Bruisse. Avec le père de Gabriel Chastel (le maitre d’école de Saint-Auban puis professeur au Buis), ils étaient frère et sœur ; ou plutôt demi-frères de mamans différentes. Plusieurs noms se retrouvent mais cela ne signifie pas qu’il y ait parenté proche : Ces Chastel n’étaient pas parents les Chastel de Justillanne d’où vient la grand-mère de Franck Bec. Et le Crozet cafetier n’était pas parent avec Elie Crozet mari de « la Pianente ». De même que Pascal cafetier venant de Pierrelatte n’a pas de parenté avec Siméon Pascal et son fils Jean, menuisiers sur Terrier où se trouvait leur habitation et leur atelier. Émilienne, la femme de Jean, elle, vient de Montguers de la jolie ferme de la Condamine
23. Et comment vous avez rencontré votre mari ?
– A cette époque, on allait d’une fête à l’autre, en bicyclette. Lui il était de Bésignan. Il s’appelait en fait Marcel Edmond Montaud mais son nom d’usage était Edmond. Il était né le 12 mai 1924. Il avait juste un an de plus que moi. Il est décédé en 1996. On s’était connus à la fête de Saint Auban. Moi, j’allais pas trop aux fêtes. On ne me laissait pas trop rouler. Mon père était tellement sévère ! Surement il était jaloux quand Edmond s’est approché de sa fille unique ! Puis quand nous nous sommes mariés, Edmond est venu habiter ici. Ils étaient 3 frères sur la ferme à Bésignan. Albert, Edmond et Aimé Montaud. Du reste Albert s’est marié 15 jours avant nous, et aussi avec une jeune fille de Saint-Auban : Gilberte Perrin. Mais nous avons perdu le contact : à l’époque on ne se déplaçait qu’à bicyclette. On descendait au Buis tous les mercredis à bicyclette. Ça tirait pour remonter avec les vélos d’alors ! Mais nous allions rarement à Bésignan.
Je me suis mariée en décembre 1946 à la fin de la guerre. J’avais 21 ans et mon mari 22. Il y avait encore les restrictions et nous n’avions invité que les parents immédiats. Deux dames de Saint-Auban, non pas Rosalie Ravoux mais deux autres dames maintenant décédées, avaient préparé le repas, avec ce qu’on trouvait à l’époque. Je me souviens qu’il avait de la dinde. Après notre mariage, mes parents sont allés habiter au village dans la maison leur venant de tante Adeline Pessin.
24. C’est alors que vous avez commencé l’élevage des vaches. Comment faisiez- vous pour le foin ? Est-ce que vous vous aidiez entre voisins ?
– Oui, on se prêtait les mules ou les chevaux si c’était nécessaire. Nous faisions les foins dans les terres du Palais. Mais c’est surtout pour la batteuse qu’on s’aidait entre voisins. Mon père venait nous aider, et puis Léopold Ponçon et ton père et aussi ton grand-père Clément Rochas qui était ami avec mon père. C’est mon père qui avait acheté la batteuse. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue. Une machine jaune, étroite mais grosse. Tu as dû la voir quand tu étais enfant. Il y a encore dans le garage le moteur électrique qui l’entraînait avec une courroie. Il ne marche plus bien sûr.
Une fois, il y avait Renée Giely, une fille du cantonnier qui avait habité un temps à La Ciresse, avant les Bonfils. Elle était venue pour couper le lien des gerbes à mesure qu’on les lui envoyait sur le tablier de la batteuse. Et ton père lui a fait la farce de lui tendre la main quand il saisissait le fil de la dynamo. Mais cette jeune fille s’était trouvée vraiment mal ! C’est dangereux ! Léopold Ponçon aussi s’amusait à faire croire qu’il ne sentait pas l’électricité…
25. Vous avez eu 2 enfants, n’est-ce pas ?
– Oui Yves en 53 et Evelyne en 56. Yves a travaillé ici avec son père à la ferme, Evelyne a travaillé à Grenoble aux Télécom. Son mari est plombier et ils ont eu 2 filles : une à Sahune, l’autre en Dordogne où je dois me rendre ces jours-ci pour le baptême du bébé de Letizia. J’ai un bon nombre de petits-enfants ! Ici, il y a les enfants de Sébastien, de Benoit et de Christophe mais il faut ajouter aussi les filles d’Evelyne. Cela fait la quatrième génération après moi…
Interview de sept 2010, revu plusieurs fois par la suite.