Annexe 1 : Textes régissant la sépulture des protestants depuis la Réforme
Les archives de la commune remontent à 1635 (et donc au temps de la Réforme puisque les thèses de Luther datent de 1517 et les premiers écrits de Calvin de 1537). Mais des recherches spécifiques dans les archives de l’évêché, à Gap et à Valence, permettront d’accéder à des informations plus amples concernant les Protestants. Au début de la Réforme, le village avait des seigneurs protestants. Ils portaient un nom peu opportun pour le cas : c’étaient les Pape de Saint-Auban, de grands guerroyeurs en faveur de leur cause. (Dans les années 1970 une descendante de la famille a légué les armoiries des Pape à la commune). Au moment de la Révocation de l’Édit de Nantes (1685), il y avait 200 protestants à Saint-Auban et 150 abjurations un siècle plus tard. Les méthodes employées pour obtenir des conversions étaient absolument horriblesl(voir l’annexe 3). Ils perdaient pour commencer toute existence civile, leur naissance, mariage ou mort ne pouvant être transcrits sur les registres ecclésiastiques.
Pour les ensevelissements, les anciens « consuls » appliquaient avec un peu de retard les lois stipulées par les rois ou gouvernements successifs. En voici les grandes lignes :
- Par exemple, on sait que pendant la cinquantaine d’année qui précède l’Édit de Nantes, les Protestants ont leurs propres cimetières, quoi qu’ils en soient parfois privés dans des contextes catholiques militants. Mais avec l’instauration de l’Édit de Nantes (30 avril 1598), ils ont droit à sépulture sans tracasseries : les articles 28 et 29 de cet édit régissent avec équité les inhumations et les cimetières :
- Article XXVIII :
Ordonnons pour l’enterrement des morts de ceux de ladite religion pour toutes les villes et lieux de ce royaume, qu’il leur sera pourvu promptement en chacun lieu par nos officiers et magistrats et par les commissaires que nous députerons à l’exécution de notre présent Édit d’une place la plus commode que faire se pourra. Et les cimetières qu’ils avaient par ci-devant et dont ils ont été privés à l’occasion des troubles leur seront rendus… - Article XXIX :
Enjoignons très expressément à nos dits officiers de tenir la main à ce qu’auxdits enterrements il ne se commette aucun scandale, et seront tenus dans quinze jours après la réquisition qui en sera faite, pourvoir à ceux de ladite religion de lieu commode pour lesdites sépultures sans user de longueur et remise.
- Article XXVIII :
- Après la Révocation de l’Édit de Nantes(proclamée dans l’Édit de Fontainebleau du18 octobre 1685) et pendant les 150 ans de la période dite du Désert (1685-1787-1827), la situation devient terrible pour les Protestants, avec dragonnades, conversions forcées, choix entre l’abjuration ou les galères, baptême catholique des enfants, surveillance des nouveaux convertis, émigration interdite, assemblées contraintes à la clandestinité, répression anti – réformée et persécutions multiples). Ceux qui refusaient de communier pour Pâques (signe d’insoumission à l’obligation catholique) étaient enterrés hors des murs du cimetière, « à la campagne » comme il est noté en marge de nos registres d’état civil de Saint-Auban. Seuls les catholiques ont droit aux cimetières officiels (et par définition catholiques).
Ces persécutions sont confirmées par la Déclaration du Roy du 9 mai 1736. Ceux de religion prétendue réformée (R.P.R.= les Protestants) se verront refusée par le curé une sépulture en terre sainte. Leur famille aura l’obligation de demander la permission au Lieutenant de la Justice du lieu pour être inhumés hors le cimetière.
La Déclaration du 9 mai 1736 stipule dans son article XIII : « Ne seront pareillement inhumez ceux auxquels la sépulture ecclésiastique ne sera pas accordée, qu’en vertu d’une Ordonnance du Juge de Police des lieux, rendue sur les conclusions de notre Procureur, ou de celui des Hauts-Justiciers ; dans laquelle Ordonnance sera fait mention du jour du décès, & du nom & qualité de la personne décédée. Et sera fait au Greffe un registre des Ordonnances qui seront données audit cas, sur lequel il sera délivré des extraits aux Parties intéressées, en payant au greffier le salaire porté par l’article XIX, ci-après. »
Toutefois, les enfants baptisés (obligatoirement catholiques) et âgés de moins de six ans ont droit au cimetière catholique et ont leur décès enregistré dans le registre paroissial de B.M.S. (Baptêmes, Mariages, Sépultures). Comme les protestants adultes ne peuvent pas y enterrer leurs morts, la seule possibilité est l’inhumation de nuit, dans leur jardin ou leur champ, après autorisation du lieutenant de justice (juridiction criminelle) jusqu’en 1736, puis de justice civile après 1736. C’est l’origine des cimetières privés protestants. A partir de six ans, le refus de la confession (et par conséquent l’exclusion de la communion et de l’extrême onction) est considéré comme une manifestation de protestantisme qui interdit l’accès au cimetière catholique et l’enregistrement du décès dans le registre du curé. Il n’y a pas d’autre registre. - Cependant, une bonne nouvelle, deux ans avant la Révolution est promulgué L’édit de Tolérance de Louis XVI :
L’édit de Tolérance du 7 novembre 1787 édicte en son article 27 que : seront tenus les prévôts des marchands, maires, échevins, capitouls, syndics ou autres administrateurs des villes, bourgs et villages de destiner dans chacun desdits lieux un terrain convenable et décent pour l’inhumation [de nos sujets non catholiques] ; enjoignons à nos procureurs sur les lieux, et à ceux des seigneurs, de tenir la main à ce que les lieux destinés auxdites inhumations soient à l’abri de toute insulte, comme et ainsi que le sont ou doivent être ceux destinés aux sépultures de nos sujets catholiques.
Cet édit redonne surtout aux Protestants la possibilité d’une identité civile, hors registres de l’église catholique. - Mieux encore sous l’Empire, la loi du 24 prairial an XII (10 juin 1804), précise dans son article 15, que dans les communes où l’on professait plusieurs cultes, chacun devait avoir un lieu d’inhumation particulier et que, dans le cas où il n’y aurait qu’un seul cimetière, on le partagerait par des murs ou des fossés.
- Pour finir, l’article 15 du décret de l’an XII est abrogé en novembre 1881. Les séparations dans les cimetières, entre tombes de différents cultes, ont été peu à peu supprimées. Il en subsiste souvent des traces et parfois des entrées séparées. Les mairies ne font aujourd’hui plus aucune distinction religieuse ou confessionnelle.
A Saint-Auban, c’est au moment où l’on décide de construire une plus grande église catholique qui s’étendra aussi sur l’espace de l’ancien cimetière contigu à l’ancienne église que la mairie fait construire deux cimetières à 500 m à l’Est du village. C’est ainsi qu’est édifié pour les Protestants ce petit cimetière un peu plus haut dans la colline des châtaigners. Il sera utilisé jusqu’en 1992 : Il est bâti sur une roche affleurante qui rend la partie haute inutilisable, du moins pour les fossoyeurs de l’époque. A deux reprises, en 1979 et 2007/2008, la mairie procède à un agrandissement sur le site le plus praticable, celui du bas. Ce sera le cimetière public unique pour tous les habitants, sans considérations d’appartenance ou de croyances. Certainement l’année1860 a été pour Saint-Auban 1860 est donc une date très importante pour les Saint-Aubanais. Si le temple (qui porte la date de 1774 sur une architrave) est reconstruit entre 1835-1836 et ré-ouvert à cette date, des recherches restent à faire la fonction du bâtiment avant 1835. D’après les relevés napoléoniens, il y a 200 protestants à Saint-Auban, contre 250 à Sainte-Euphémie et seulement 50 au Buis où ils avaient été particulièrement décimés. Un texte y avait même stipulé, lors de la destruction du temple du Buis (dont il ne reste plus que le nom « rue du Temple »), qu’il n’y aurait jamais plus de culte réformé au Buis.
Cependant, en application du décret du 19 mars 1859, Napoléon III attribuait au Conseil d’État le pouvoir d’autoriser l’ouverture de nouveaux lieux de culte. Parfois les bureaux préfectoraux prétendaient qu’il n’y avait pas de « mouvements religieux » pour refuser l’autorisation. Dans toute la France il y eut de multiples réticences pour les reconstructions de temples détruits après la révocation de l’Édit de Nantes de 1685. En témoignent dans notre région les lettres du curé de Taulignan à l’évêque de Valence en 1858 pour freiner la construction du temple de Taulignan, en faveur de laquelle se battait depuis 10 ans le pasteur de Venterol : « Monseigneur, Déjà sous mon vénéré prédécesseur et à une époque que je ne puis préciser, mais peut remonter à 1836, une première fois, le protestantisme essaya de construire un temple et de fonder une résidence pastorale à Taulignan. La sagesse, la prudence et la haute équité de Mr Mésangère, sous-préfet à Montélimar, suffirent alors pour faire échouer cette tentative. (…) 1847… empêcher le résultat que le protestantisme se promettait… » (jusqu’en 1858 où le projet de construction du temple est accepté par le maire et le conseil municipal). Extrait des pages 55-61 de Parler et vivre à Taulignan sous le second Empire, de Jean-Claude Rixte, Association des onze tours, Mars 2009.
Dans notre haute vallée, c’est à Sainte-Euphémie que fut inauguré le premier Temple. C’est là que résidait le pasteur. Le premier fut nommé en 1812. C’est Ferdinand Bonfils. Il venait de La Roche sur Buis. Le second fut Paul-Samuel Gauthier en 1821. A cette époque, la moitié de la population y était protestante ; la Mairie de Saint-Euphémie, pour moitié protestante elle aussi, avait attribué aux protestants, comme lieu de culte, la grande salle d’honneur de la famille de Sade, dépossédée à la Révolution. (Les Sade ont plusieurs propriétés dans la région, un château à Lacoste, des terres à Sahune, le château de Vercoiran : M. Pez, maire de Vercoiran affirme que la dernière descendante des Sade se marie au temple de Sainte-Euphémie, ancienne propriété de sa famille. Dans le livre Saint-Auban sur l’Ouvèze, village médiéval, livret guide, imprimerie Meffre, Vaison 1983, on indique que le bâtiment de la Sarrasine [1], est également un bien confisqué à la Révolution à l’émigré Sade qui avait aussi des terres à Sahune.) Le temple de Sainte-Euphémie est officiellement inauguré en 1827. On relève effectivement dans le registre des réunions du conseil presbytéral qu’en 1927 le temple de Sainte-Euphémie fêtait la centième année de son ouverture (1827-1927).
En principe une façade classique de Temple réformé comprend un escalier, un oculus en dessus de la porte d’entrée et un clocher. En fait d’oculus, il y a seulement une fenêtre carrée qui éclaire la pièce supérieure, actuellement inaccessible. De plus le temple ne dispose ni cloche ni clocher. Personne ne s’en plaint. Le clocher de l’église catholique est suffisant pour tous et les protestants ont contribué à la rénovation de la cloche dont la marraine est Simone Chastel.
C’est le temple voisin de Sainte-Euphémie qui possède une belle cloche. Elle témoigne des curieuses rivalités entre les dénominations chrétiennes et rappelle les petites guéguerres de religion qui continuaient, même après les édits de tolérance ou de liberté religieuse : La cloche du temple de Sainte-Euphémie proclame (gravé en haut relief sur son flanc) « J’appartiens aux Protestants de Sainte-Euphémie, Drôme, 1848 ».
C’est en 2007, à l’occasion de travaux importants à l’ancien appartement du Pasteur et au toit qu’on constate la nécessité d’une consolidation du clocher. Le maire, Pierre Borel, fait donc déposer la cloche et découvre avec étonnement ce texte en bas relief, libellé sur les flancs de la cloche. Il en fait part à la communauté qui, ayant perdu le souvenir des anciennes disputes sur la disparition des cloches de temples détruits à la Révocation, ne cache pas sa stupéfaction devant une phrase aussi militante !
Un texte provenant de l’évêché de Die en 1688 confirme comment le passage de propriété pouvait être rapide. Il suffisait de bénir et de rebaptiser la cloche enlevée aux protestants et séance tenante elle devenait bonne catholique :
Document rédigé par le curé d’Arnayon et en dépôt aux des archives de l’évêché. Le texte concerne la bénédiction d’une cloche ayant appartenu aux Protestants
Transcription par Wally Lager, professeur de paléographie. Chaque ligne transcrit la graphie originale du document de 1688) | Reproduction photocopiée du document de 1688 |
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Bénédiction, qu’on appelle baptème de la cloche du lieu d’arnayon, en Dauphiné, diocese de Dye. L’an 1688 et le 23. jour du mois d’avril avant Midy à estee benite la cloche du lieu d’arnayon par moy soussigné ; à laquelle avons mis le nom (pour la discerner des autres cloches) de Marie Sauve terre. Laquelle cloche à été benite dans léglise parochiale du d. lieu par permission de l’ordinaire dudit Arnayon ; Il y a écrit, marqué, ou gravé : Faict aux depens de ceux de la religion réformée d’arnayon ; 1655, laquelle leurs appartenoit auparavant ladite benediction. Le tout a esté faict aux présences de Laurent recteur des Pilles et Jean Teysseyre dict bialas dudit Arnayon que la dite cloche ; la dite cloche pèse à peu prés deux quintaux Audiffreit, pretre Prieur, curé de chaudesbon– Ne, de l estiellon et autres Lieux, au diocesse de Dye Ce 23 avril 1688. |
Pendant 100 ans, le premier clocher de Sainte-Euphémie était en bois. Remplacé par un clocher de pierres dans les années 1926, il n’a plus été modifié ensuite (à part l’installation d’une nouvelle corde intérieure en 1999) mais il sera consolidé en 2007 par la mairie qui change aussi les deux grandes baies vitrées. La communauté en profite pour installer en 2009 des toilettes dans l’ancien couloir qui avait fait un temps fonction de sacristie et de recoin pour cuve à mazout, désormais remplacée par deux convecteurs électriques.
Reproduction complète de la carte postale montrant l’ancien clocher du Temple mais aussi le lieu de la foire, les troupeaux de moutons, les collines déboisées, les femmes en robes longues, les jardinières et les mulets, avant les voitures à moteur, avant l’électricité.
Image mise à disposition par Gérard Autrand de Bons-Montauban.
Mais revenons à nos cimetières…
Pour des raisons d’hygiène et pour la salubrité des eaux, il n’était plus guère concédé (quoique parfois possible) qu’on enterre ses morts dans un coin de sa propriété. Une dernière trace de cimetière privé se trouve noté en 1926 dans le Registre des inhumations protestantes. Elle concerne l’ensevelissement à Sainte-Euphémie de Louis Borel (1843- 7 juin 1925) « dans la propriété du défunt ».)
Les cimetières familiaux ont presque tous disparus.
Vue d’ensemble du cimetière privé des Court – Borel – Chalamel (apparentés à la famille Rosier), entre les cyprès, à la sortie de Sainte-Euphémie, à droite à mi-pente, sur la route qui descend au Buis.
Ce petit cimetière est-il bien au pied de la colline et de la ferme de Vence où se tenaient les cultes « au désert », c’est-à-dire clandestins pendant les 150 ans qui ont suivi la Révocation de l’Édit de Nantes ?
A Saint-Auban, l’emplacement du cimetière, pourtant bien exposé et accessible, avait le défaut d’être situé en pente, sur un terrain rocheux, difficile à creuser à la main. Couverts par très peu de terre, les ossements réapparaissent parfois.
En usage pendant 132 ans, il est désormais conservé comme lieu de mémoire..
La Commune de Saint-Auban l’entretient mais gère désormais les sépultures selon les lois de la République laïque et non confessionnelle. Le Concile Vatican II permet du reste aux Catholiques de ne plus s’offusquer du voisinage d’autres défunts, éventuellement en attente eux aussi de la Résurrection. Chaque résident peut retenir une concession à la Mairie.