Tombe n° 5 Bis :
Nelie Ponçon venait de Justillane. De son vrai nom Nelie, Alphonsine, Léa Chastel, épouse Ponçon. C’était une excellente bergère. Elle parcourait par monts et par vaux la montagne de Garancier,les pentes du Ravin « Le Ranc » ou celles de la Clavelière, passant première devant ses bêtes, à la tête de tout le troupeau qui la suivait docilement. Son chien fermait la garde. Personne n’avait d’aussi belles agnèles et elle savait fort bien les vendre.Aucun maquignon ne pouvait la convaincre de baisser son prix. Elle était enjouée, son rire en cascade était contagieux ! Elle levait ses yeux bleus en penchant un peu la tête quand elle réfléchissait. Elle était forte, capable de conduire tous les attelages des faucheuses, lieuses, râteaux, charrue même. Elle savait saigner et dépecer un animal même gros. Elle ne prenait pas grand soin de sa tenue, ses souliers ferrés portaient de la paille jusque dans sa chambre et comme toutes nos grand-mères, elle savait pisser debout, en écartant ses larges jupes. Elle appréciait la fine laine isolante sur la peau par les chaleurs d’été. Elle savait faire la soupe sans tremper inutilement les pommes de terre dans l’eau. Elle semait les graines selon la lune. Notez bienqu’il ne s’agit pas des variations de la forme des quartiers de lune ; mais au contraire de la position de l’astre au dessus de l’horizon : plus ou moins haute pour la lune montante, plus ou moins basse pour la lune descendante. (On ne tient donc pas compte de laformede la lune : croissant en D pour lune croissante, puis lune pleine, puis croissant en C pour la lune décroissante) ! Son gendre, Max Bec, essayait de lui prouver que la lune n’avait pas tellement d’influence sur la croissance des plantes…Maiselle y tenait.
Protestante dans l’âme, elle n’aurait pas supporté que sa fille unique se marie à l’église catholique (ces mariages, à l’époque préconciliaire, étaient relégués dans la sacristie et ressentis par les Protestants comme une offense. L’épouxcatholique communiait SEUL devant l’autel, l’époux protestant souvent contraint à s’engager par écrit (contre le Droit Canon qui ne peut pas l’exigerde luimais seulement de la part catholique) à élever ses enfants dans la foi catholique. On est encore loin de 1962 et du concile de Vatican II !
Vers la fin de sa vie, sur son lit de douleurs, Nelie avait fait apporter une croix huguenote commandée aux cousines de Nyons pour sa petite fille Nadine, née quelques mois auparavant, le 20 février 1961.
Ici Nelie Ponçon tient les rênes de la faucheuse au Pouzet vers 1930. A côté d’elle, Léopold son mari, derrière Ernest Rochas, Aimé Rochas puis peut-être le père de Nelie, Rémy Chastel et Léopold Arnoux son voisin. On s’aidait entre voisins pour les grands travaux de l’été. A l’arrière plan, la propriété des Arnoux-Brachet du Pouzet.
Voici une photo de Nelie avec sa chèvre blanche et sa petite voisine Mireille Brachet.
Encore Nelie en 1931. Elle est au centre. On voit seulement son profil.
Autourd’elle, ses apparentés les Rochas et les Brusset, tous protestants.
Les Rochas : Clément avec son képi de facteur, sa femme Eugénie née Ponçon, leur fils Ernest Rochas, deux de leurs filles : en blanc au centre avec son chapeau à larges bords, Léa, futureinspectrice des Postes, à droite Louise, future assistante sociale.
Les Brusset : Honoré (1882-1969) est debout, sa femme Pauline née Court (1896-1948). Ils se sont mariés le 14 juin 1919 au temple de Sainte-Euphémie. Elle tient Marcel, le second de ses3 garçons dans ses bras. Le dernier, René, n’est pas encore né. En revanche le premier fils est aussi sur la photo, assis à ses pieds. C’est Gustave, l’ainé (1920-1996). Il porte un brassard de deuil comme Honoré. Cette photo, prise derrière La Galane parEugénie Rochas (Ninie) date de l’été 1931 : Gustave Brusset a 11 ans et son frère Marcel né le 11 mars 1931 a ici 4 ou 5 mois.
La photographe (avec son appareil à soufflet) est Eugénie Rochas, infirmière missionnaire, en 1930 avant son second départ pourle Djebel Druse, en Syrie-Liban, alors sous protectorat français. Elle avait un appareil photo dont a hérité son petit- neveu Frédéric Rochas.
Le mari de Nelie, Léopold PONCON, (1903-1962) était un homme de paix. Jamais en colère mais pleind’ironie, parfois même farceur. D’une femme pas très entreprenante il disait « a pas ben de fio » (Elle n’a pas beaucoup de feu). Quand il allait aider les voisins pour les battages du blé, il s’isolait sur un sol de paille et demandait qu’on lui touche lamain. Mais il saisissait l’instant d’après le fil du courant de la magnéto du moteur qui provoquait un léger choc électrique chez celui qui avait tendu la main vers lui. Pour les fêtes de famille, il fallait le supplier pendant une demi- heure pour qu’ilchanteLe temps de cerises. Il chantait magnifiquement en roulant les r. Léopold, toujours avec un large bandeau de feutre beige autour des reins, sataillole, se soignait avec les herbes. Par exemple le marrube pour sa cure de printemps. (Qu’aco es amar !Que c’est amer ! disait-il) Les plantes ne l’ont pas protégé d’un diabète tardif qui exigé des amputations et transformé ses dernières années en calvaire.
Il racontait que pour se faire porter malade à l’armée, il fallait laisser un bout de pain sous sa langue avant de s’endormir. De la sorte on avait la langue blanche, typique des malades, à l’inspection médicale du lendemain.
D’après le livre de l’Abbé Armand, le Pouzet, maison des Ponçon-Bec, était un ancien prieuré de femmes et s’appelait au Xème siècle, Notre Dame de l’Espinasse. Elle pouvait être une institution féminine symétrique de la ferme-monastère de Saint- Pierre qui dépendait de la puissante Abbaye de Saint Victor à Marseille. Sur l’aire du Pouzet sous laquelle se trouvaient des sépultures, d’après les labours de Léopold Ponçon, on trouverait des vestiges du prieuré de Notre Dame de l’Espinasse. La croix fort endommagée et datant de 1857 marque le lieu du cimetière et a été remplacée en 2018 par une nouvelle lors d’une fête œcuménique. Encore dans les années 1970, la paroisse catholique de Saint- Auban avait la tradition de monter en procession jusqu’à la croix du Pouzet, parfois pour demander la pluie comme c’était la tradition dans l’ancienne procession de Montguers vers Saint Agricol.