Tombe n° 8 : ROCHAS

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La carte du cimetière

Article mis en ligne le 8 novembre 2022
dernière modification le 22 janvier 2023

par Colette

Tombe n° 8 :

Derrière, les tombes des Morenas, des Brachet et des Ponçon se trouve la stèle n° 8.

C’est celle de leurs voisins et parents, les ROCHAS. On voit aussi leur ferme de La Galane, à mi- chemin entre le Pouzet et la rivière de l’Ouvèze, à 800m de la route. Les ROCHAS sont les descendants des SEYMARD qui sont, eux, implantés à Saint-Auban depuis au moins la Réforme. Les Seymard avaient hérité leur ferme des GALAND, d’où le nom de Galane donnée à la maison.Il y avait des Seymard à Saint-Roman (avec un lieu dit « Pré de Marie Seymard » appartenant maintenant à Francis Chauvet , et d’autres Seymard à Montguers aussi.

Le premier nom sur la stèle est celui d’un enfant, Albert, mort de diphtérie à l’âge de 9 ans en 1915. Le second nom est celui de sa mère, Eugénie ROCHAS née PONCON, femme de Clément Rochas. Elle a été enterrée ici en 1940, après une pneumonie contractée pendant le rude hiver 1940 alors que, sur la demande de son fils Ernest Rochas, elle était venue aider sa belle-fille, Aimée, née Nicolas, qui avait déjà 4 (de ses futurs 7) enfants et devait gérer la ferme en l’absence d’Ernest, encore retenu par la guerre comme pontonnier au Génie d’Avignon. Eugénie Rochas mère (sa fille portera le même prénom) vient du même pays (La Motte Chalencon) que son beau-père, Pierre Rochas, le premier Rochas arrivé de Saint-Jean-des-Vigneaux comme colporteur de Bibles. Elle est aussi de la même famille que Léopold Ponçon, son neveu et futur voisin qui viendra se marier au Pouzet en 1930.

Eugénie, placée très jeune chez un médecin de Nyons, apprend à devenir excellente cuisinière et plus… jusqu’à l’âge de 29 ans, où le pasteur lui arrange vite fait un mariage urgent avec un jeune homme d’une paroisse voisine, à la fois célibataire, protestant et travailleur. Un bon parti. Il s’appelle Clément Rochas, 28 ans. C’est le plus jeune garçon d’une nichée de 12 enfants dont 10 filles. Il conduit la ferme de La Galane avec son frère Frédéric, célibataire aussi. Clément et Eugénie se marient en 1897, date de la naissance rapide d’un premier enfant :Aimé Émile. « L’oncle Aimé » se mariera, lui, le 23 septembre 1922 après son retour de la première guerre mondiale où il était parti à 17 ans, sur la Somme, près de Chalon. Son épouse est Virginie Louise BOIS, à cette époque une élégante dame d’une famille aisée de Villeperdrix. Ils auront 4 filles Hélène, Ginette, Maryse, Simone.
1928. Aux vendanges, dans leur vigne sur Saute Bouc : Clément Rochas avec son képi ; à droite sa femme, Eugénie Rochas née Ponçon. (On voit aussi Louise Rochas, en blanc, et Eugénie dite Ninie, leur fille ainée, assise, qui va partir infirmière missionnaire en Syrie ; à gauche une voisine. Au fond, les rochers de la grotte de l’ours.)

1928. Aux vendanges, dans leur vigne sur Saute Bouc : Clément Rochas avec son képi ; à droite sa femme, Eugénie Rochas née Ponçon. (On voit aussi Louise Rochas, en blanc, et Eugénie dite Ninie, leur fille ainée, assise, qui va partir infirmière missionnaire en Syrie ; à gauche une voisine. Au fond, les rochers de la grotte de l’ours.)
Clément Rochas, (*1869- † 1951) et sa femme, Eugénie Rochas née Ponçon, (*1868-décédée le 17 fév. 1940. Photo des années 39/40.

Clément ROCHAS avait aussi un second métier : facteur des postes. Il distribuait le courrier deux fois par jour. Sa tournée comprenait entre autre La Rochette. A pied bien sûr. Plus tard il aura une petite voiture à deux temps, une Cabriette Peugeot. Son père. Pierre Rochas, mort en 1900, est surement enterré dans cette même tombe ainsi que son épouse, Marie Seymard, de vieille souche Saint-Aubanaise comme l’atteste les actes notariés de La Galane remontant à 1583. Les Seymard, ou Seyma, étaient cardeurs- tisserands. On trouve des Seymard à Saint-Roman : Il y a une Victorine Seymard née en 1854, mariée à Eugène Eysseric. Ensemble ils ont une fille, Léa Eysseric en 1885. A sa naissance, Eugène a 50 ans (puisqu’il est né en 1835) ; Victorine Seymard née en 1854 en a 31 : 19 ans de moins ! Toujours à Saint- Roman, un Joseph Seymard (*1856) est père à 37 ans, avec son épouse, Appolonie Taxil, d’une Félicie-Appolonie-Agnès Seymard, née le 30 oct. 1893. Ils se sont probablement convertis au catholicisme. En tout cas une photo de 1924 des pèlerines à Lourdes montre une Appolonie Taxil – Seymard tête baissée, assez maussade.

Du reste, comme souvent à l’époque, la photo du groupe n’exprime pas une joie débordante. Le curé M. Corréard et son neveu font plutôt exception.
Il s’agit du Pèlerinage de Saint-Aubanais, Montaubanais etc., à Lourdes en 1924 avec le curé Corréard. En haut, de gauche à droite : 1-Marie AUGIER ; 2- Delfi RAVOUX ; 3-Germaine JULLIEN, épouse Quenin ; 4-Edmond QUENIN ; 5-Sidonie REYNAUD, épouse Jean ; 7-Germaine CHARROL, épouse Rolland ; 8-une dame de Montbrun ; 9- Abbé CORREARD, 11-Gustave REYNIER, maire,10 Appolonie TAXIL épouse Seymard ; 11-une dame de Montbrun ; 12- TESTE de La Bâtie, épouse Chauvet ; 13- Félise BLANC, épicière à St. Auban ; 14 -Neveu du curé CORREARD ; 15-Marie TOURNIAIRE épouse Reynaud ; 16-Julia TOURNIAIRE, épouse Tourniaire ; 17-Marie BONTOUX également épouse Seymard. Cette photo nous vient de M. Gérard Autran, de Bons/Montauban qui œuvrait tant pour la conservation du patrimoine.

Dans les registres d’état civil, on relève aussi à Montguers une Marie Seymard mariée à Etienne Arnoux dont le fils, Antoine Arnoux, né en 1877, épousera une Dorothée Tourniaire.

Pour Saint-Auban on racontait chez les Tantes Rochas qu’une une grand-tante Seymard était morte prisonnière à la Tour de Constance dans les années 1700 et ce modèle de résistance huguenote fait partie de la saga familiale : on regardait dans leur chambre, pendu au mur, le tableau représentant les prisonnières autour de Marie Durand dans la tour. En revanche bien attesté dans les documents : Marie Seymard de La Galane (15 mai 1829 †1892) se marie à 20 ans, le 17 avril 1849, avec Pierre Rochas (*4/2/1822-†13/2/1900) figure modèle du protestantisme parce qu’il était colporteur de Bibles et prenait des risques en cachant ses grosses Bibles sous les écheveaux de fil de sa caisse de bois portée en bandoulière comme les colporteurs des Alpes ou les colporteurs Vaudois, allant de la Suisse vers le Sud et vice versa. De ces Bibles transportées sur le socle de la boite de mercerie qu’il portait sur l’épaule, il y avait encore deux ou trois exemplaires à La Galane dans les années 1950. Les S de la graphie ancienne ressemblaient à des f. Pierre, né à Chalencon en 1822 venait plus précisément de Saint- Vigneaux, une ferme très isolée, surplombant une pente escarpée au-delà de Chalencon, lieu d’un ancien prieuré empreint d’une atmosphère mystique ou tellurique selon M. Maillot, géologue à La Motte.

Revenons à notre cimetière de Saint-Auban ! Pierre et Marie enterrés ici mais sans plaque auront 12 enfants. Plusieurs doivent être également ensevelis ici. Par exemple Malvina, morte à 20 ans, Frédéric mort célibataire, Louise-Victoire, épouse Brusset décédée en 1916. A la mort de Pierre, le plus jeune, CLÉMENT ROCHAS, est marié depuis 3 ans. il a 31 ans, il mène la ferme avec son frère Frédéric qui habite la partie Ouest de La Galane. Des 6 enfants qui naissent, 4 sont enterrés ici. Manquent le premier : Aimé et la dernière : Léa, enterrés à Nyons. La première fille, du nom d’EUGÉNIE comme sa mère, et appelée Ninie sera, comme sa cousine germaine, Emma Ponçon (sœur de Léopold), invitée par le pasteur Champendal à suivre des cours à l’école d’infirmières protestantes de Nîmes (encore existante) après les mémorables conversions du mouvement du « Réveil » en 1925.

Emma Ponçon et sa cousine germaine, Eugénie Rochas, dite Ninie, en élèves infirmières à l’école protestante d’infirmières de Nîmes.

Le témoignage de sa prise de décision (à l’occasion des rencontres de jeunesses du mouvement « le Réveil ») est longuement évoqué dans un article de journal (sept 1925) et dans le registre des délibérations du Conseil presbytéral (Déc.1925) : « L’église assemblée entourait de son affection et de ses prières une de ses jeunes membres, Mlle Eugénie Rochas, qui, ayant entendu l’appel du Maître, a décidé de lui consacrer sa vie en soignant ceux qui souffrent dans leur corps ». 

Eugénie partira en décembre 1928 comme infirmière missionnaire dans le Djébel Druse en Syrie (alors protectorat français) de 1928 à 1936. Ensuite dans les sanatoriums parisiens installés à Hauteville, dans l’Ain (Pendant la guerre, à Autun en zone occupée), où elle sera infirmière chef, décoré de la médaille d’honneur par le ministre de la santé mais vivant toute sa vie dans une minuscule chambre d’hôpital, sauf pendant ses temps de congés à Nyons où son père lui avait fait construire une maison en indivis avec sa sœur, Louise, elle aussi formée comme infirmière à l’école protestante de Nîmes.

LOUISE ROCHAS, à gauche sur la photo (vers 1936 ?) à côté de sa mère, sa jeune sœur Léa, son père et sa sœur Ninie. Louise devient assistante sociale et sillonne ensuite le nyonsais avec sa trousse de vaccinations, d’abord à bicyclette puis avec sa célèbre Simca 6, couleur aubergine.
La Simca 6 de Louise en 1953.

Dans les années 60, on la voit sur une Deux Chevaux (toujours en état de marche, à La Galane, en 2021, et servant de transport des mariés Jean-Yves et Bruna Rochas en 2012). Vaccinations, placement d’enfants, dossiers pour les plus démunis, Louise prend aussi en pension chez elle au moins 7 de ses nombreux neveux et nièces qui font des études à Nyons. La maison des Tantes aux Antignans devient ainsi une institution familiale incontournable. Les tantes sont d’une générosité exemplaire. Louise avait toujours spécifié vouloir être enterrée à Saint-Auban dans le cimetière protestant. En 1992, par exception, elle sera effectivement encore inhumée dans ce cimetière presque familial où il y avait déjà son père, sa mère, sa sœur Ninie, et son frère Ernest Rochas (21 sept. 1901- 30 nov.1977).

ERNEST ROCHAS, l’entreprenant maquignon de la famille, enlève une jeune fille de 18 ans en 1932, fait 7 enfants puis divorce en 1949. Ce n’est pas commun, pas plus que d’être porté en terre par 4 de ses garçons, en présence de 300 personnes, parents, amis, agriculteurs, maquignons, « patcheurs » infatigables. Il pouvait être emporté, jaloux, mais bon vivant, voire coureur, mais très généreux aussi, et pas seulement avec ses enfants. Un jeune couple de cousins le remercient encore en pensée de s’être proposé comme garant et caution lors d’un emprunt pour leur maison.

Voici pour le commémorer un poème écrit en allemand par son gendre :

Père Ernest 29.11.1977
Ils m’ont dit :
Son dernier chemin
était noir de monde
On le portait à nouveau
Il avançait ainsi, léger.
Combien de fois faut-il qu’un être meure
pour qu’on le porte à nouveau en le berçant ?

C’est ainsi que je le vis :
A petits pas de novembre, rasé de près
Les champs se reposent
Sa roue s’appuie au bar
Ses mains comptent les cartes
Encore le temps d’un pastis.
Combien faut – il donc qu’un homme paie
Pour qu’on le ressuscite dans son sommeil ?
Père Ernest 29.11. 1977
Sie sagten mir :
Sein letzter Weg
War schwarz von Menschen
Man trug ihn wieder
So ging er leicht.
Wie oft muß einer denn dann sterben
Daß man ihn wiegend wieder trägt ?

So sah ich ihn :
Novemberschritte gut rasiert
Das Land hat Ruh
Sein Rad lehnt an der Bar
Die Hände zählen Karten her
Noch einen Pastis lang
Wieviel muß einer den dann zahlen
Daß man ihn schlafend auferweckt ?

Juerg Kleemann.

Il a enseigné à ses enfants de ne pas se satisfaire de ce qui pourrait être mieux, à être exigeant avec soi-même, à savoir choisir et soigner les animaux, à savoir vendre et faire des affaires, à semer le blé à la main en gardant assez de grain pour qu’à la fin du geste la terre éloignée en reçoive. Il disait que les murs de sa maison étaient protestants, « même les murs ! », ce qui ne l’empêchait pas de lancer des paroles anarchistes : « Il y a 3 maux dans le monde : le sabre, la gabelle et le goupillon ».