Paulette et Marie-Rose

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Article mis en ligne le 27 mars 2023
dernière modification le 17 février 2023

par Colette

Quand les femmes construisent l’Histoire

Contribution au thème des journées du patrimoine,

(Histoire locale) 

Vies de femmes : Paulette et Marie-Rose

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  1. Vous vous appelez Paulette et Marie-Rose Pessin. l’une deviendra Paulette Brochier, l’autre Marie-Rose Aumage. Qui est l’ainée ? Où et quand êtes vous nées ?

Paulette : C’est moi l’ainée. Je suis née le 4 août 1924 à Montguers ; Marie–Rose est née ici, 2 ans plus tard,le 2 juillet 1926.Nous n’avons pas de frères.Je suis née dans la maison de ma grand-mère Eysseric à Montguers. Ma maman (Germaine Eysseric-épouse Pessin) était retournée chez sa mère pour l’accouchement. Une sage-femme locale aidait les femmes qui devaient mettre des enfants au monde. C’était Mme. Arnoux de Saint-Roman,l’arrière-grand-mère de Francis Chauvet, le mari de la maire actuelle. Il y avait aussi une autre sage-femme locale, Mme Renée Perrin qui venait d’Alsace comme réfugiée de la première guerre mondiale, du reste on l’appelait "la réfugiée" !

Marie-Rose : Moi, je suis née dans la maison que l’Abbé Armand louait (Formellement, c’est le diocèse qui louait à nos parents, sous le soustet, en dessous de la maison Lachaud. Il avait loué d’abord aux Pessin, puis aux Gauthier, quand le toit de leur maison à Douas s’est effondré. Mais Paulette pense que cette maison lui venait de ses parents à lui et qu’il y était né.

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Une des portes d’origine de la maison de l’Abbé Armand.

De la maison reste encore de belles ouvertures. La partie écroulée a été reconstruite en terrasse par Mme Lauret-Gerber.

C’est là que nos parents avaient aménagé après leur mariage. Il y avait une grande salle de séjour en bas et la chambre des parents ; notre chambre à nous, les filles,était à l’étage, à côté d’une pièce que l’Abbé se réservait quand il revenait en vacances après son transfert à Saint-Vallier [1].

Paulette : Cette maison où nous nous trouvons actuellement et qui donne sur la grand-rue, c’est celle de nos grands-parents Pessin (Louis Pessin et sa femme Marie-Caroline Reynaud). On n’y a rien changé ni la cheminée avec la crémaillère ni la trappe qui descend aux caves. Mon grand-père Pessin avait même acquis les bâtiments voisins.

les maisons Pessin

Les 3 maisons Pessin avec, sous la treille, une ancienne auberge pour chevaux de poste devenue ensuite une magnanerie.

La première maison était revenue à ma tante Claire, la sœur de mon père. Elle sera vendue à la Commune qui y crée dans les années 80 un foyer et une bibliothèque pour les Associations. Par la suite la partie ouest passe à la famille Roubaud. L’autre partie est louée puis achetée par une jeune famille, les Cardinaels qui ont deux filles jumelles et apportent de la vie dans notre rue. Il s’agit de la maison dont la façade est en partie en ciment gris.

Dans la seconde maison habite encore Paulette (la maison passera à son fils Gérard en 2020). La troisième, celle aux volets rouges, héritée d’abord par la soeur de Louis : Angeline puis par sa filleule de même nom : Angeline Galland épouse Roux (fille d’Alix Pessin épouse Galland). Ce sont des noms familiers à Saint-Auban,

Notre grand-père venait d’Auvergne et faisait le métier de scieur de long. Nous avons encore sa scie et sa varlope.

Varlope

La varlope de l’ancêtre (l’arrière-grand-père de Chantal)

La scie

La longue scie du premier Pessin installé à Saint-Auban

  • Comme je l’ai dit, sa maison et ses ateliers allaient jusqu’à la limite de la maison du notaire Lachaud, maintenant aux Lauret-Gerber. A la mort de mon grand-père Louis,le bien est revenu à son fils Paul Pessin. Louis avait deux soeurs Angeline et Alix. Angeline placée chez un docteur à Nîmes est restée célibatire. Alix se marie avec Victor Galland de la Palouise, un quartier de la Blache. Ils ont une fille unique à qui sa mère Alix donne le nom de sa chère soeur Angeline. Cette petite Angeline épousera Joseph Roux qui réside au Chatelard. Cependant le couple habitera quelques années après 1948, dans la maison aux volets rouges héritée de la marraine célibataire. Joseph Roux avait été blessé à la joue à la première guerre mondiale et élu un temps comme maire de Saint-Auban. A la mort de Joseph, Angeline redescend au Chatelard où sa fille Yvonne (ma cousine au second degré) prend soin d’elle.
    Mon père Paul n’avait qu’une seule soeur Claire mariée à Philippe Reynaud, un cousin puisque sa tante,la femme de Louis est une Reynaud. Ils vont vivre à Entraigue.

Voir sur ce site le second recueil sur la Vie des femmes à Saint-Auban contenant le témoignage d’Yvonne Roux épouse Montaud, cousine de Paulette, qui habite jusqu’à son décès en 2022, au Chatelard sous le village, au bord de l’Ouvèze.
Yvonne habite jusqu’à sa mort au Châtelard, agrandi d’une seconde maison par son fils Yves et sa belle-fille (qui fait d’excellentes tommes d’une trentaine de chèvres). La maison est grande et abrite ses petits-enfants Christophe Montaud avec sa femme Marianne et leurs enfants. Ainsi ils ont vendu la petite maison aux volets rouges dans le village.

La cousine germaine de mon père, Angeline Galland-Roux (mère d’Yvonne Roux) avait d’abord eu avant la grande guerre une première fille Marie [2]. Marie épouse Henri Veux de la Truchière, le frère ainé de notre Edmond centenaire (disparu en 2010). Comme Henri et Marie décident de quitter la Truchière pour s’établir à Sablet où la terre est plus fertile [3], c’est Edmond qui a repris la Truchière où habitent maintenant sa fille Élisabeth et son gendre François De Carlo (décédé en 2019).

  1. Vous souvenez-vous des premières odeurs ou des bruits qui vous entouraient ?
    Il y avait les poules et les coqs qui chantaient au lever du jour. Le jour, les poules vivaient dans la rue avec celles de tout le monde, par exemple celles de Pierre Sarrasin, notre voisin, qui habitait dans la maison qu’a restauré Jean David pour en faire un lieu public de musique (transformé en gite par Philippe Doll à partir de 2020). On appelle encore cette maison laSarrasine. A la tombée de la nuit chaque poule retrouvait exactement son poulailler sans se tromper. Le nôtre était en dessous de la terrasse de Mme Gerber. La rue était aussi à nous pour les jeux, les danses, les fêtes ! Personne ne s’en plaignait. Il n’y avait pas grande circulation : Il passait le car de Laragne-Lachaud-Vaison, alors que celui de Marcel Bernard, qui allait de Montauban à Nyons, passait seulement à Clarisse. Les facteurs allaient à pied ou en vélo. Ton grand-père Clément Rochas qui faisait la tournée de La Rochette avait une petite quadrillette rouge-marron à capote bâchée avec des roues à rayons et un long capot pointu. Tes frères t’expliqueront. [4]
  1. Dans votre petite enfance, est-ce que vous souvenez des tendresses de vos parents ou grands-parents ? Es-ce qu’ils vous prenaient sur leurs genoux ou jouaient avec vous ?

Paulette :Non, ce n’était pas comme maintenant. Nous n’étions pas malheureux : Nous nous sentions aimées, mais ils ne montraient pas leur affection en nous serrant ou en nous embrassant. Moi je n’ai jamais vu mon père s’amuser avec nous.

Marie-Rose : Nous le coiffions. Le soir, ilappuyait son coude et sa tête sur la table. Il avait de beaux cheveux frisés et nous le coiffions avec le peigne. Nous lui mettions parfois des barrettes qu’il enlevait en riant.

Paulette :Chaque année pour la rentrée de l’école, il nous taillait des bûchettes neuves pour les leçons de calcul. Il nous les confectionnait par lots de dix. On en a eu, de ces bûchettes ! Et on était contentes quand on amenait ces bûchettes toutes neuves, dites ! Oh là !Là ! Il ne nous en fallait pas beaucoup pour être heureuses…

Et bien sûr, j’ai de lui ici encore une petite chaise d’enfant qu’il m’avait confectionnée. Je m’en sers encore pour les pieds et j’y tiens beaucoup. Tous les enfants aiment s’y asseoir !

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  1. L’école ? Vous étiez séparés, filles et garçons ? Qui était votre maitre ? Est-ce que vous apportiez votre repas ? Et une bûche pour allumer le poêle ?

Des classes séparées ?-Non, non ! En 1930 à Saint-Auban, c’était la coéducation moderne : filles et garçons mélangés !Mais c’était dû aussi à la baisse des natalités après la guerre de 14 où sont morts tant de pères de famille potentiels. Si nous avions été plus de 30 élèves, on aurait divisé la classe. Mais ce n’a pas été le cas. Notre premier maître, M. Delhomme, était en fin de carrière. Mais nous avons eu aussi Marie-Louise Bontoux, la femme de Marcel Bontoux, courtier en lavande. C’est elle qui nous a fait cadeau à tous pour Noël d’une brosse à dents et de dentifrice dans une timbale. Qu’est-ce que nous étions fières et contentes de ce cadeau !

Du temps où Marie–Louise (« La Malie ») était institutrice, Marcel Bontoux qui était aussi secrétaire de mairie à Saint-Auban, avait fait construire une gloriette au fond du jardin, entourée de lilas. Nous y jouions beaucoup.

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La gloriette de l’école de Saint-Auban

Maintenant on la voit mieux : on l’a rapprochée de l’entrée, lors des travaux pour la nouvelle école. A propos de nouvelle école, la notre avait une belle grille d’entrée sur la rue avec inscrit au fronton en demi-cercle « École communale ». C’est l’école républicaine issue des lois Jules Ferry. Mais avant, dans les bâtiments de la Sarrasine, en contrebas de la maison de l’Abbé Armand, il y avait une école et même la Mairie qui a déménagé ensuite dans la maison du Comte de Rions.

Pour revenir à notre premier instituteur, M. Delhomme de Sederon,il était âgé. Comme il y avait dans la classe un poêle central, on avait mis une grille autour du poêle pour que les enfants ne se brûlent pas. Mais le maître s’appuyait l’hiver sur le couvercle pour corriger les cahiers. Parfois nos cahiers en étaient tout « rimés », brûlés presque. Mais nos parents ne disaient rien. On ne se serait pas plaints ! On aurait reçu une taloche ! On marchait droit !

Une fois, le maitre s’était endormi sur le poêle tiède. Le petit Albert Marcellin lui disait qu’il devait faire pipi. Et comme il le répétait sans que le maitre réponde, il a pissé là, sur le poêle !

Nous ne portions pas de bûches de bois à l’école comme au temps de nos parents. C’est Arnoux de Rioms,je crois, ou quelqu’un du village qui l’apportait. Parfois c’était notre père qui allumait le poêle, parfois c’était Susanne Arnoux, la sœur de Gabriel Arnoux et fille de Marie Contat-Arnoux dont le mari était mort militaire. Il y a sa plaque sur le monument aux morts. Susanne nettoyait aussi l’école.

Pour midi, comme nous habitions dans le village, nous rentrions chez nous ; mais les enfants des fermes apportaient leur repas par exemple les enfants de l’assistance de Geyte où ils étaient nombreux, les Chauvet des Moures (dont la maison« la Tuilière »en face de l’entreprise S.A.Bontoux n’existe plus),les filles du Paulet de Besson
_ [5].

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Photos de la maison Sinard (épicerie et tissus). L’escalier est d’origine.

Pour l’école, on nous achetait des blouses bleues ou rouges. Mais on avait très peu de vêtements. Quelquefois après une bonne récolte de tilleul ma mère disait : « On va acheter du tissu pour faire un manteau ou une robe aux petites ».

Marie–Rose : Une fois une dame nous a ramené une tissu jaune à petites fleurs et Rosalie nous a fait une robe chacune. Mon Dieu, qu’elle était belle cette robe. C’était un peu joli ! Qu’est-ce qu’on l’a portée !

Oui, c’était Mme Eysseric, la femme du boucher à côté de l’église, qui nous avait ramené le tissu de Carpentras parce que notre père soignait leurs poules quand ils étaient absents.

  1. Quelle aide deviez-vous donner dans la maison ?
    Nous mettions la table, préparions le repas si notre mère était aux champs. On nous disait alors« tu feras la soupe ou tu feras ça » et ça devait être fait quand les parents rentraient. On ne nous laissait pas sans rien faire !

Il y a une chose que je n’ai jamais faite : donner aux cochons. J’en avais une peur bleue. Je préparais le seau, tout ce qu’il fallait. Mon père me disait "Laissalou aqui ! Lou pourtarai". Mon père était plus doux que maman.

Paulette : Nous faisions la vaisselle une semaine chacune.

Marie-Rose : et notre lit tous les jours ! Pas moyen de s’asseoir à table si nous n’avions pas fait notre lit. On nous aurait fait monter le faire. Alors… il était toujours fait !

  1. Quels étaient les plats que l’on préparait pour les grandes fêtes ?
    Pour Noël, on avait deux repas. L’un maigre, avant la messe de minuit : une soupe delosans(un genre detagliatelle), de la morue frite et du cardon ou des épinards. Après la messe, nous mangions la tarte, une orange et des papillotes qu’on achetait en face chez Blanc, ou chez Sinard. Il y en avait en chocolat et d’autres au fondant de sucre coloré. D’autres, -les plus chères- contenaient une blague et un pétard (qui éclatait si l’on tirait sur les deux extrémités. Les tirettes actionnaient une amorce).

Pour Pâques, c’était traditionnellement la blanquette de chevreau dans une excellente sauce blanche au thym et comme dessert, les brassados : des anneaux de pâte parfumée à l’eau de fleur d’oranger et à l’écorce d’orange. On les pochait à l’eau bouillante et on les portait chez le boulanger dès qu’il nous disait « le four est chaud ! Pour préparer tout cela, il y avait la cheminée mais surtout la cuisinière en fonte.

la cuisinière bleue

La cuisinière de la grand-mère Pessin-Eysseric sur laquelle cuisinaient
Paulette et Marie–Rose, très moderne pour l’époque.

  1. Qui lavait le linge, où et comment le lavait-on ?
    Paulette : Ah si les margelles du lavoir pouvaient parler, vous en entendriez de belles ! C’est là qu’on échangeait les nouvelles…

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Le lavoir de Saint Auban

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Les margelles du lavoir qui ont entendu tant d’histoires…

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La descente au lavoir, une bonne occasion pour se retrouver et bavarder

« Le lundi matin nous allions au lavoir sous le village avec le savon. Nous lavions toutes dans la même eau. L’hiver nous portions de l’eau chaude de la maison. Nous avions une brosse en chiendent pour les cols de chemise. Nous enlevions les taches comme ça :un bord du linge coincé dans la main gauche et frottant de la main droite sur notre poing fermé avec l’autre partie du tissu. Nous ne faisions pas bouillir à la lessiveuse. »

Marie-Rose : Autrefois notre mère coulait la lessive avec de la cendre dans une cornue. Mais pas nous. Nous avions des draps très rêches que nous n’aimions pas, même s’ils tiennent frais. Moi,je préfère les draps de flanelle. J’y suis bien, surtout l’hiver.

Paulette : Pour le linge intime, les serviettes hygiéniques, on les faisait tremper avant, à la maison, dans des seaux ; on ne le montrait pas. On n’en parlait pas. On n’aurait pas risqué de les pendre dehors à sécher. On était pudique.

  1. Pour la puberté, comment avez-vous été informées ?
    Rien, on ne nous disait rien au préalable. Après, on nous donnait une ceinture où s’accrochait une serviette avec une épingle à nourrice mais ce n’était pas un sujet dont on parlait. Comme j’ai dit, on était réservé.
  1. Et pour la régulation des naissances, la sexualité ?
    Encore moins ! On était très naïves, les parents n’en parlaient pas et à l’école non plus. On n’était guère informées. Dans les familles, les enfants venaient comme ils devaient venir. La question de savoir s’ils étaient bienvenus ne se posait pas.

Marie-Rose : Moi, j’ai eu 9 enfants ! Ah, bien sûr qu’on était vierges à notre mariage ! Sinon on n’aurait pas eu la tête sur les épaules !

  1. Et si une jeune était enceinte avant de se marier ?
    Ça n’arrivait guère. On l’envoyait ailleurs, bien avant la naissance… Et probablement elle devait abandonner son enfant à l’Assistance publique. C’est ce qu’on disait. A moins qu’on s’y soit pris trop tard, alors elle gardait son enfant avec soi.

Marie-Rose : Oui, Susanne pour le second, elle s’y était prise trop tard.

Avant les parents ne parlaient pas devant nous, mais les voisins savent toujours tout et c’est par eux qu’on apprend les choses qu’on nous cache !

  1. Comment est-ce que vous avez rencontré vos futurs maris ? Comment s’appellent-ils ?
    Paulette : moi, c’était Gabriel Brochier. Il était gendarme. Depuis la gendarmerie sur la place Péquin, les gendarmes descendaient souvent vers le bas du village. Ils faisaient leur tour. Il y avait en bas deux cafés, un boucher, deux épiciers, toujours du monde. C’était au début de la guerre. Il n’y avait donc pas de fêtes. Les gendarmes passaient devant la plupart des maisons. On échangeait les nouvelles. Ils s’arrêtaient souvent chez nous. C’est comme ça qu’on s’est fréquentés. Je ne me souviens pas d’une demande formelle. Mais un jour vers 1943-44 quand Gabrie la été muté à Roman dans le nord de la Drôme,il a dit à ma mère avant de partir : « Paulette, c’est ma fiancée ! ». Ma mère était contente : j’étais casée !On n’était pas fiancés : on n’en avait pas parlé !
    Mais on sortait ensemble, on se promenait, on se plaisait bien. Mon père ne disait rien.

Marie-Rose : Et moi, c’est à la fête de Montauban à La Combe. Je dansais avec Lucien Rivet.J’ai commencé avec lui mais je suis partie avec un autre, André Aumage de Sainte- Jalle !

  1. Alors, vous les aviez choisi vos maris ! Ce n’était pas des mariages arrangés !
    Non, ça ne m’aurait pas plu. Je ne me serais pas mariée.
  1. Quand ont eu lieu les mariages et qui était invité ?
    Paulette : Moi, c’était en 1945, juste après la guerre. Et Marie-Rose en 1947. Le repas se faisait chez soi. Il y avait encore les restrictions, alors seulement une personne était invitée par branche de famille. Il y avait, à part les mariés, les parents, ma sœur et Rosalie à qui on avait fait appel pour préparer le repas de noces, puis mes grands parents des deux côtés, Germain le beau-frère de mon père, ma marraine qui était aussi ma tante, sœur de ma mère. (Ma Marraine, Agnès Guillaume, née Eysséric, est aussi la mère de René Guillaume, l’ancien facteur, qui habitait juste avant la croix du Palais, marié à Ginette Garaix). Puis à mon mariage,il y avait Yvonne Roux, ma cousine, Gilberte Perrin qui était ma grande copine, et un cousin de Nîmes : Charles. Bien sûr,les frères de mon mari étaient là : Gabriel, Charles, Marie, Léa. Les Brochier venaient de Bourgoin, dans l’Isère en allant sur Lyon. Il y avait aussi un collègue de mon mari : le gendarme Barbier dont l’épouse était institutrice à Montauban.
  1. Ces jeunes gendarmes en poste, c’est comme les instituteurs : s’ils sont en âge de se marier, ils se marient souvent avec quelqu’un du pays où ils viennent d’être mutés.
    Oui, il y en a d’autres qui se sont mariés sur place :Émile Émony qui s’est marié avec Marie-Rose Paris [6] il y avait comme autre épouse de gendarme,Émilienne. Devenue veuve elle s’est remariée avec Jean Pascal, menuisier comme son père Siméon Pacal qui nous a fait tous ces meubles ici : le buffet et la table en noyer.

Paulette (85)Paulette devant son buffet en noyer, fait par Siméon Pascal (vers1920)

Emilienne Pascal avait eu comme premier mari un gendarme nommé Chalou. Chalou avait été envoyé en mission à Taulignan et pris par les Allemands. Il a disparu. Émilienne n’a jamais reçu de certificat de décès. Mais après 4 ans, on considère que la personne est morte. Elle s’est remariée avec Jean Pascal.
Il y a aussi Edmée Garaix qui s’est mariée avec M. Cassaet, gendarme également. Dans la génération d’avant, c’est un Toulouse qui s’était marié avec une jeune-fille du lieu :Marie Aumage [7]. Mais après leur mariage, on les mutait rapidement :l’administration les envoyait volontiers outre-mer. Peut-être pour que, nouvellement liés à une famille du lieu, ils ne soient pas amenés à quitter leur impartialité ou à accorder des passe-droits. L’administratioin considérait peut-être aussi que partir outre-mer fraichement marié était plus supportable à cet âge que partir seul. Pour nous aussi, ça s’est passé comme ça. Après notre mariage, nous sommes partis à Grenoble. Puis de 1946 à 1949 nous avons rejoint l’Allemagne occupée, en Rhénanie. Chantal y avait à trois ana appris l’allemand de sa nounou allemande. Quelques années plus tard, Gabriel a été appelé en 1955 en Algérie dansles Aurès, àMac Mahon, près deBiskra. Revenu en 1960, il a été nommé à Valence puis à Moiran dans l’Isère et il a terminé sa carrière à Die. En Algérie, seuls Monique et Gérard étaient avec nous. Chantal était restée chez mes parents. Elle adorait sa grand-mère. Mais avec Monique cela aurait fait trop de travail pour les grands- parents. Et puis à l’école de Batna, on n’apprenait pas grand-chose.

  1. Vous avez assisté à d’autres mariages ?
    Paulette : c’était rare ! Une fois, comme j’avais appris la couture chez Rosalie, la fille Goldmeyer qui avait grandi chez Geyte m’a demandé de lui faire sa robe de mariage ! En retour, elle nous invitait toutes les deux au repas de noces ! C’était un événement. Il fallait avoir des robes pour nous aussi… toute une affaire ! Mais ça n’a pas marché !
  1. Mais pourquoi donc ?
    Je vais te raconter : Nous étions voisines du Café de Noëlie Raymond et sa fille Mireille [8]Elle venait avec nous à l’école. Mais Mireille était très tyrannique. Il fallait toujours faire ce qu’elle voulait. Nous l’évitions même. Et sa mère nous grondait quand nous ne venions pas jouer avec elle car de la sorte elle l’enlevait du milieu du café. Quand nous ne venions pas, elle nous grondait tant que cela me faisait pleurer et que je passais par la rue du dessous, sortais par le soustet des halles et montais la rue du temple pour aller à l’école. Un vrai détour au lieu dedescendre directement la grand-rue. Tout ça pour éviter de passer devant chez les Ra !mond. Noëlie pouvait vous habiller de mauvaises paroles !

Eh bien, par jalousie ou parce que tout devait passer par elle, Noëlie a si bien bonimenté les Goldmeyer que nous avons été« dés-invitées »et que Mireille est allée au mariage à notre place !On n’était pas du tout contentes, car une invitation à cette époque était rare. Etre de noce était un événement.

  1. Maiscomment aviez-vous appris à danser ? Il y avait la fête votive ?
    Oui, on a toujours eu la fête à la mi-juillet. Je me souviens quand on a installé l’électricité. On avait mis des guirlandes. Elles y sont restées au moins 8 jours. C’était vers 1936. Avant les lampes étaient à pétrole.

la lamppe de la belle-mère de... ma grand-mère

Photo de la lampe à pétrole(datant de 1850 ?) venant de la belle-mère (une Borel ?) de la maman de Paulette

On dansait dans la rue ici devant. Nous n’avons pas connu le village autrement qu’avec cette rue, mais Denis Reynier me racontait que mon grand-père Louis Pessin se rappelait qu’il avait vu les travaux quand on avait coupé le rocher à la dynamite pour faire passer la route en 1830. Mais nous n’avons jamais vécu le temps où il fallait monter sur Péquin et passer par la porte Peiche pour aller à La Rochette.

Nous apprenions à danser avec les copines ; Denis Tourniaire ouvrait sa fenêtre qui donnait surla rue et il jouait de l’accordéon. Parfois nous allions le lui demander… Et nous dansions dans larue justement, la valse, le tango. Les parents disaient « les jeunes s’amusent ».

Pour la fête, c’était des joueurs de La Bâtie-Saint-Sauveur qui venaient. Un accordéoniste, un mandoliniste et un chanteur.

  1. Vous aviez parfois des visiteurs qui dormaient chez vous ?
    Non. Sauf une fois où Hélène,la fille ainée d’Abel etd’Ida Gautier a acommencé à aller à l’école. C’était trop loin pour elle à 6 ans de faire le chemin tous les matins d’hiver, depuis la ferme des Réynier,(près de Douas où habitent maintenant Jean-Michel Toulouse, sa femme Kathy et ses enfants (Thomas puis Sophie et Juliette). Hélène Gauthier dormait chez nous. Plus tard elle a fait la route avec ses sœurs Odette etJanine qui est ma filleule quoi que je ne la voie jamais( décédées toutes deux en 2019). Je sais que Jean Noel est à Tulette mais je n’ai pas revu Janine avec ses beaux cheveux roux.
  1. Comment est-ce que vos parents se partageaient le travail ?
    Ils avaient des champs assez dispersés, aux Mourres, à Gresse, au Cros(vers Saint-Pierre à côté des champs des Marcellin et des Giudici). Ils partaient avec leur charrette. Mon père avait un cheval. Il fallait donc du foin pour le nourrir. Il arrivait à faire passer une charrette sous le soustet pour porter du foin dans la fennière. On faisait tomber le foin dans le râtelier juste en dessous, dans l’écurie du cheval qui se trouvait à proximité de la porte de l’eau et de la Sarrasine. S’il lui manquait du foin, il allait chercher des bourrassées sur la route de Gresse, à la grange que ma seconde fille, Monique, a fait restaurer. Mon père était organisé. Quand il y avait la neige, il ne disait pas comme maintenant « mais qu’est-ce qu’on va devenir ? ». Il ne s’effrayait pas plus que ça. Mais tout le monde nettoyait devant sa porte ! Pour le bois, qu’est-ce qu’il a scié comme bois dans sa vie !Et tout à la scie égoïne sur le chevalet !Mon père prêtait son cheval à ceux qui n’en avaient pas, en particulier pour porter le bois pour l’hiver.

L’été, ils prenaient des adjudications pour cueillir le tilleul. La récolte représentait une entrée d’argent chaque année.

Marie Rose : C’est même quand on ramassait avec eux le tilleul en juillet 44 qu’on a appris que Paulet était tombé dans la serve de Ponçon et s’était noyé.

  1. Comment se passait le dialogue dans les couples ? Comment prenait-on les décisions ? Comment se résolvaient les disputes ?
    Nos parents ne se disputaient guère,sinon à propos du lieu où ils allaient travailler, l’un préférant Cros, l’autre Gresse ou Mourres, chacun avec leurs arguments… Mais ce n’était pas grave. Et surtout mon père ne buvait pas, maladie que beaucoup avaient ramenée des tranchées de la première guerre. Tu te souviens par exemple de cet autre Henri Aumage qui habitait àLa Maille, au sommet de Rioms, marié avec Léonie Brachet. Léonie avait déjà derrière elle une enfance plus que laborieuse. Avec ses deux frères Aimé et René ils avaient perdu leur mère Marie-Pauline née Arnaud , morte en couches à la naissance de René. Quelle histoire ! Le père Aimé-Honoré Brachet des Moures se remarie rapidement avec Antoinette Bayle, toute jeune, qui aura l’année suivante à la fois Henri, en janvier, et Jean en décembre ! ). Vous imaginez cette Antoinette à 19 ans avec 5 enfants dont 3 nourrissons ? -auxquels s’ajouteront plus tard Lydie et Marcel-
    ]] Pour en revenir à Henri Aumage, il était bûcheron et portait parfois du bois à l’école. Un drôle de caractère [9]germaine de ton père, Elisa Brusset mariée à un autre Arnoux disait « Dans la maison, il n’y a qu’un seul homme, c’est moi  [10] ». Son mari était presque toujours ivre. On l’a souvent ramassé dans le ruisseau…

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Élisa Brusset, épouse Arnoux.

  1. Que se passait-il quand on était malade ? Qui soignait les vieux parents ? Comment se soignait-on ?
    On soignait surtout avec des infusions et des herbes : le tilleul et la lavande pour mieux dormir, le thym pour la toux, la sauge pour le foie, la marrube ou le ricin comme dépuratifs, l’huile rouge au millepertuis pour les brulures, l’alcool à 90°pour désinfecter (c’était del’eau de vie de marc qu’on distillait au petit alambic géré par Gustave Raymond, à droite en descendant vers Clarisse), du camphre contre les rhumatismes, de l’huile de foie de morue pour les enfants rachitiques, des gouttes de teinture d’iode pour la thyroïde ou contre le goitre, l’huile de cade contre les maux d’ongle, des sinapismes ou cataplasmes à la moutarde pour les bronchites et des ventouses pour les pleurésies.

Faire venir un médecin et surtout payer des médicaments était hors de prix [11].

Pour les malades alités, on avait des chauffe-lits avec des braises dans un poêlon de cuivre fermé ou des briques réfractaires chauffées au four puis enveloppées dans un papier ou encore des bouillotes de métal. On les glissaitau fond du lit du malade.

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La bouillote en cuivre de la mamée Eysseric-Pessin

Si on faisait venir le médecin c’était qu’il n’y avait plus rien à faire…


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